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Activité personnelle et vol de temps

S'il est vrai qu'un employé ne commet pas un vol de temps chaque fois qu'il se livre à une activité personnelle pendant sa journée de travail, il y a néanmoins une frontière que la plaignante ne devait pas franchir; le congédiement est confirmé.
1 mai 2024

Intitulé

Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal et Ville de Montréal (Ginette Hébert), 2024 QCTA 43

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Griefs contestant une suspension, une recommandation de congédiement et un congédiement. Rejetés.

Décision de

Me Francine Lamy, arbitre

Date

2 février 2024


La plaignante, qui occupait le poste de conseillère immobilière, a été congédiée pour s'être livrée à des activités personnelles pendant ses heures de travail et avoir contrevenu aux politiques de l'employeur relatives à l'utilisation du matériel informatique et à la protection des données. Selon ce dernier, les résultats d'une enquête interne ont démontré que la plaignante avait consacré une portion considérable de ses heures de travail à naviguer sur des sites Web en lien avec ses intérêts personnels, et ce, en utilisant le matériel informatique de la Ville, qu'elle avait offert une prestation de travail réduite alors qu'elle était en télétravail, qu'elle avait entreposé des documents et des photographies nos reliés à son travail sur l'ordinateur et qu'elle avait utilisé un courrier électronique autre que celui de la Ville afin de transférer des documents comprenant des informations confidentielles ou réservées à un usage interne. Le syndicat conteste le caractère rétroactif du congédiement et l'ampleur des fautes reprochées.

Décision

Les faits reprochés sont démontrés, qu'il s'agisse de la période durant laquelle la plaignante fournissait sa prestation de travail en mode présentiel ou de celle où, en raison de la pandémie de la COVID-19, elle travaillait à partir de son domicile. Les explications qu'elle fournit au Tribunal ne sont pas crédibles. Par ailleurs, s'il est vrai qu'un employé ne commet pas un vol chaque fois qu'il se livre à une activité personnelle pendant sa journée de travail, il y a néanmoins une frontière à ne pas franchir. En l'espèce, les fautes se sont répétées au cours d'une longue période. La preuve est accablante, tant en ce qui concerne les actes que l'intention. Notamment, de janvier à mars 2020, la plaignante a consacré 20 % de ses journées de travail à naviguer de manière répétitive sur des sites Internet n'ayant aucun lien avec ses fonctions. Son intention malveillante peut s'inférer de ses gestes de dissimulation active, de sa connaissance des règles de l'employeur quant aux activités personnelles et à l'utilisation du matériel technologique, de même que de ses déclarations mensongères quant à ses heures de travail. Qu'elle se soit acquittée correctement des mandats qui lui ont été confiés, et même de manière exemplaire, n'altère pas la nature de la faute. Un salarié qui manque de travail ne peut décider unilatéralement et à l'insu de son gestionnaire d'occuper ses journées de travail par des activités personnelles. La bonne foi requiert d'en informer l'employeur et de demander du travail. En somme, la conduite de la plaignante est objectivement grave et justifiait une sanction sévère.

La sanction retenue par l'employeur est appropriée. En effet, la plaignante ne peut faire valoir des circonstances atténuantes, et plusieurs autres considérations aggravent la faute commise. Contrairement à ce que soutient le syndicat, l'employeur n'avait pas à aviser la plaignante dès l'apparition de soupçons. En outre, il n'a pas fait preuve d'acharnement ni n'a piégé la plaignante en augmentant sa charge de travail durant l'enquête. Cette dernière est une professionnelle disposant d'une grande autonomie et dont la prestation de travail est de surcroît soustraite à toute surveillance directe lorsqu'elle est en télétravail. L'employeur doit pouvoir entretenir une confiance absolue en pareilles circonstances. Ce dernier a raisonnablement conclu à la rupture irrémédiable du lien de confiance. Néanmoins, il ne pouvait faire rétroagir le congédiement à la date du début de la suspension sans traitement, et ce, de manière à court-circuiter le grief contestant celle-ci. En effet, il ne peut unilatéralement transformer après coup une mesure administrative en sanction disciplinaire afin de modifier les rapports juridiques des parties. Malgré tout, cela n'a pas d'incidence sur la validité de la suspension en l'espèce puisque l'employeur avait des motifs très sérieux de croire que la plaignante se livrait à une conduite s'apparentant à du vol de temps ou à des réclamations frauduleuses d'heures de travail non accomplies lorsqu'il a procédé à la suspension sans solde celle-ci.