Intitulé
Union des employés et employées de service, section locale 800 et Fonds de solidarité des travailleurs du Québec - FTQ (Jean-Pierre Guay, autres, grief syndical et grief collectif), 2023 QCTA 546
Juridiction
Tribunal d'arbitrage (T.A.)
Type d'action
Griefs relatifs au remboursement des frais de déplacement. Accueillis en partie.
Décision de
Me Francine Lamy, arbitre
Date
6 décembre 2023
Depuis 2007, la convention collective prévoit que l'employeur paie une compensation pour l'utilisation d'une voiture personnelle lors d'un déplacement, et ce, pour chaque kilomètre parcouru. En 2009, l'employeur a adopté une politique selon laquelle, aux fins de ce calcul et du paiement de la compensation, il faut présumer que le point de départ et d'arrivée est le bureau, c'est-à-dire le siège social de l'entreprise. En 2022, après l'introduction du télétravail, l'employeur a modifié sa politique pour préciser que seule la distance réellement parcourue serait compensée, de façon à éviter que les salariés partant de leur domicile ne soient indemnisés pour du kilométrage qu'ils n'auraient pas réellement parcouru. La combinaison de la présomption de départ et d'arrivée depuis les locaux de l'employeur avec cette précision oblige dorénavant la personne salariée à toujours réclamer le trajet le plus court entre la distance depuis les locaux de l'employeur et le kilométrage réellement parcouru si celle-ci se déplace depuis son domicile, ce que conteste le syndicat. En plus de sa contestation sur le fond, l'employeur fait valoir que le libellé du grief ne permet pas au syndicat de contester la présomption relative au point de départ et d'arrivée, mais seulement le changement imposant le trajet le plus court.
Décision
Contrairement à ce que soutient le syndicat, la clause applicable n'est pas claire. Elle doit donc être interprétée. Selon le courant jurisprudentiel majoritaire, les déplacements du domicile au lieu habituel du travail sont de nature personnelle et, en conséquence, ne sont pas soumis aux normes minimales imposées par la Loi sur les normes du travail. Par ailleurs, la présomption établie par la politique est conciliable avec la convention collective. En effet, plutôt que d'exiger que la personne salariée se présente à son établissement avant d'entreprendre son déplacement, l'employeur lui laisse le choix de partir d'un autre lieu, sous la condition toutefois que le déplacement facturé se limite à ce qui est nécessaire, c'est-à-dire à la distance entre ses locaux et le lieu de destination. De plus, par sa conduite, le syndicat a acquiescé à cette interprétation de la clause en question. En effet, au moment de la conclusion de la présente convention collective, il s'était écoulé au moins 10 ans depuis l'application de la présomption relative au point de départ et d'arrivée. Dans cette optique, la règle du trajet le plus court, nouvellement introduite, ne modifie pas le texte de la convention collective. Il s'agit d'une précision visant à assurer que la personne salariée ne réclame pas davantage que le kilométrage du déplacement réellement effectué.
En revanche, la présomption relative au point de départ et d'arrivée lors d'un déplacement repose sur la prémisse que la personne salariée est tenue de se rendre aux locaux de l'employeur pour accomplir ses tâches et y entreprendre le déplacement requis par ses fonctions. Or, cette logique s'effondre lorsque la personne salariée est affectée en télétravail, soit un changement majeur dans l'organisation du travail survenu après le renouvellement de la convention et régi par une politique de l'employeur. En ce sens, l'acquiescement du syndicat mentionné ci-haut ne peut être étendu à des circonstances aussi différentes. De plus, en dispensant les salariés de se présenter au lieu de départ et d'arrivée présumé, l'employeur s'est trouvé à empêcher l'application de la présomption, qui est réfragable. La restriction visant le kilométrage normalement parcouru entre le domicile et les locaux de l'employeur lors d'un déplacement vise à exclure cette composante personnelle pour limiter la compensation à ce qui est nécessaire. Cette règle perd son utilité première dans le contexte du télétravail. En effet, la personne salariée n'ayant pas à se rendre au bureau, le trajet parcouru depuis son domicile ou le lieu du télétravail est entièrement réalisé à la demande de l'employeur ainsi qu'à son bénéfice. En ce sens, l'entièreté du déplacement devient nécessaire, ce qui justifie l'application du remboursement du kilométrage parcouru en fonction du lieu réel de départ et d'arrivée lorsqu'il correspond à celui du télétravail. Les règles habituelles peuvent continuer de s'appliquer les jours de présence au bureau et cohabiter harmonieusement avec les déplacements depuis le domicile ou le lieu de travail approuvé par l'employeur les jours de télétravail.