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Une suspension pour cacher un congédiement

Le plaignant a fait l'objet d'un congédiement déguisé lorsque l'employeur l'a suspendu sans solde pour une durée indéterminée; la plainte (art. 124 L.N.T.) est accueillie.
17 avril 2024

Intitulé

Gariépy c. Veolia Eau Technologies Canada inc., 2024 QCTAT 347

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Laurentides

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail — accueillie.

Décision de

Anick Chainey, juge administrative

Date

2 février 2024


Décision

Le plaignant, un soudeur-assembleur, a été placé en congé sans solde pour une durée indéterminée parce qu'il avait refusé de se conformer à la politique de l'entreprise voulant que les salariés non vaccinés contre la COVID-19 doivent passer 2 tests de dépistage rapide par semaine sur les lieux du travail pour pouvoir travailler en présentiel — le plaignant prétend qu'il a obéi en tout point aux directives émises par l'employeur et que sa suspension injustifiée est assimilable à un congédiement sans cause juste et suffisante — l'employeur soutient que lien d'emploi n'a pas été rompu — il allègue subsidiairement qu'il existerait une cause juste et suffisante pour mettre fin à l'emploi du plaignant étant donné que celui-ci a refusé de se conformer aux politiques de l'entreprise — le plaignant a respecté à la lettre la procédure prévue dans le formulaire de consentement — il s'est soumis, ainsi que cela était requis, à un test de dépistage rapide lors de son retour au travail, le 17 janvier 2022 — malgré cela, et même si la politique stipulait très clairement qu'il était considéré comme entièrement protégé parce qu'il avait déjà contracté le virus, il s'est vu refuser le droit d'effectuer sa prestation de travail à compter du 19 janvier sans raison valable puisque la directive ne lui était plus opposable — à ce moment, il a été traité différemment des autres salariés qui étaient exemptés de se soumettre à cette politique parce qu'ils étaient complètement vaccinés — que la directrice des ressources humaines déclare ne jamais avoir remarqué l'encadré et la mention concernant les situations dans lesquelles l'employeur considère qu'un salarié est pleinement protégé parce qu'il s'agit d'un document qui a été rédigé par les procureurs de l'entreprise n'est pas une justification sérieuse — l'employeur a abusé de son droit de gestion et a assujetti le plaignant à une condition arbitraire et discriminatoire en violation de son contrat de travail — une suspension imposée sur cette base est illégale et non fondée — le fait de priver le plaignant de son emploi et de sa rémunération équivaut à un congédiement — lorsqu'il a pris la décision de suspendre administrativement le plaignant, l'employeur n'a pas respecté les principes applicables à la situation — dans Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la Vie (C.S. Can., 2004-07-29), 2004 CSC 55, SOQUIJ AZ-50264378, J.E. 2004-1543, D.T.E. 2004T-775, [2004] 3 R.C.S. 195, la Cour suprême du Canada a précisé qu'un employeur peut suspendre un salarié pour des motifs disciplinaires ou administratifs, mais que ce pouvoir résiduel est limité et qu'il doit être exercé selon certaines conditions, dont une durée déterminée — la suspension qui a été imposée au plaignant était d'une durée indéterminée — elle doit par conséquent être considérée comme un congédiement — que l'employeur se soit ravisé par la suite en y rattachant un délai de 6 semaines n'a aucune importance, car il faut apprécier la situation au moment de sa survenance — le raisonnement est le même à l'égard du rappel au travail, qui est un fait postérieur et qui n'est pas pertinent pour la qualification de la situation juridique — l'employeur n'a pas démontré qu'il avait des motifs raisonnables de mettre fin à l'emploi du plaignant en raison de son refus allégué de se conformer à la politique de l'entreprise sur l'administration des tests rapides — le plaignant a respecté cette politique, et c'est l'employeur qui a choisi d'en moduler l'application à sa guise — il ne peut s'agir d'une cause juste et suffisante de congédiement — le congédiement est annulé — la réintégration du plaignant dans son poste est ordonnée puisque aucun empêchement ni aucune impossibilité n'ont été invoqués.