Intitulé
Unifor, section locale 175 et Produits Suncor Énergie - Raffinerie de Montréal (grief syndical), 2023 QCTA 554
Juridiction
Tribunal d'arbitrage (T.A.)
Type d'action
Grief contestant l'usage de caméras de surveillance. Accueilli.
Décision de
Me Richard Mercier, arbitre
Date
18 décembre 2023
Le syndicat conteste la présence des caméras de surveillance qui ont été installées dans le nouvel entrepôt de l'employeur, qui exploite une entreprise de raffinerie de pétrole. Ces caméras captent des images des salariés travaillant à la pesée, à la porte de la réception de la marchandise, sur le quai d'expédition ou dans diverses allées de l'établissement. L'employeur fait valoir que les activités courantes de la raffinerie comportent un degré de dangerosité élevé et qu'il est nécessaire de protéger les lieux contre toute intrusion.
Décision
Les caméras sont fixes et fonctionnent en continu, soit 24/heures sur 24 et 7/jours sur 7. Peu importe la nature des tâches qu'ils exécutent, les salariés sont dans la ligne de mire des caméras lorsqu'ils travaillent. Cette surveillance continue est un critère important retenu par la jurisprudence pour conclure à une violation au droit à la vie privée en milieu de travail. Dans un tel contexte, le syndicat a démontré prima facie une atteinte à la vie privée des salariés. Il revenait donc à l'employeur de la justifier, ce qu'il a été incapable de faire. En effet, le nouvel entrepôt peut difficilement être qualifié de lieu de travail dangereux, malgré la survenance occasionnelle d'accidents du travail. On n'y trouve ni explosif ni matière dangereuse. Aucune problématique urgente et réelle n'a été démontrée en ce qui concerne la santé et la sécurité du travail. Par ailleurs, le visionnement par l'employeur d'images montrant 2 incidents qui avaient mis en cause des chariots élévateurs n'était pas justifié, que celui-ci l'ait fait à des fins disciplinaires ou éducatives, comme il le fait valoir. Une telle pratique envoie forcément aux salariés le message qu'ils sont surveillés. En revanche, le matériel entreposé a une grande valeur et l'employeur est en droit de le protéger. Cependant, aucune problématique urgente et réelle n'a été démontrée en ce qui concerne l'intrusion et le vol dans l'entrepôt. Puisque rien ne justifie l'objectif poursuivi, il ne peut y avoir de lien rationnel entre la mesure et ce dernier. Au contraire, l'installation de caméras est arbitraire, l'employeur ayant effectué celle-ci à l'insu du syndicat et après avoir fait fi de ses questionnements quant à son utilité. En outre, il existe d'autres mesures de sécurité moins invasives, lesquelles sont nombreuses et diversifiées à l'extérieur de l'entrepôt: clôtures élevées, lumières, alarmes, détecteurs de mouvements ainsi que cartes d'accès pour pénétrer dans différents bâtiments. Toutes ces mesures suffisent amplement à protéger l'intérieur de l'entrepôt sans que les droits des salariés soient mis à mal. Dans ces circonstances, la présence de caméras viole le droit fondamental des salariés au respect de leur vie privée. Conformément à l'article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne, il faut conclure que les salariés ne bénéficient pas de conditions justes et raisonnables.