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Indemnité pour congédiement illégal et réintégration impossible

La réintégration de la requérante à la suite de son congédiement illégal étant impossible, celle-ci a droit à une indemnité pour perte d'emploi équivalant à 2 semaines de salaire par année de service; elle a également droit à des dommages punitifs en raison du comportement hautement répréhensible de l'employeur.
26 mars 2024

Parties

Lehuquet c. Fersten Mondial inc.

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Fixation d'une indemnité — le Tribunal a accueilli les plaintes de la requérante en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.), mais il a conclu que la réintégration n'était pas une mesure appropriée .

Décision de

Nancy Martel, juge administrative

Date

28 décembre 2023


Décision

Les sommes réclamées à titre de perte salariale et de dommages moraux ainsi que les intérêts afférents ne sont pas contestés par l'employeur — ceux-ci sont confirmés — il s'agit plutôt de décider si la requérante a droit à des indemnités pour perte d'emploi et pour dommages exemplaires — l'employeur prétend que le seul remède possible dans le cas d'une plainte pour congédiement illégal accueillie est la réintégration — selon lui, le fait que la requérante considère que celle-ci est impossible implique qu'elle a renoncé à une indemnité pour perte d'emploi — depuis Immeubles Bona ltée c. Labelle (C.A., 1995-03-20), SOQUIJ AZ-95011396, J.E. 95-733, D.T.E. 95T-427, [1995] R.D.J. 397, il est de droit constant qu'une indemnité pécuniaire pour perte d'emploi peut être accordée en plus de l'indemnité pour perte salariale, chacune ayant un objet distinct — il est ainsi possible pour un salarié de renoncer à la réintégration tout en demandant une indemnité pour perte d'emploi, dans la mesure où il est démontré que la réintégration n'est pas souhaitable — en l'espèce, c'est à la lumière de la preuve portant sur son impossibilité que le Tribunal a conclu que la réintégration n'était pas une mesure appropriée, car la démarche serait vouée à l'échec — même si la plainte en vertu de l'article 122 L.N.T avait été rejetée, celle en vertu de l'article 124 L.N.T. aurait été accueillie — dans le cas d'une plainte fondée sur ce dernier article, lorsque le plaignant prouve que la réintégration est impossible, une indemnité pour perte d'emploi peut y être substituée — en l'espèce, la démonstration de l'impossibilité de la réintégration a été faite par les 2 parties — il en découle que les remèdes prévus à l'article 128 L.N.T. peuvent être invoqués par la requérante — on ne peut retenir une position qui priverait cette dernière de l'un de ceux-ci — cela équivaudrait à offrir une protection moindre à une salariée victime à la fois d'une pratique illégale et d'un congédiement sans cause juste et suffisante, par rapport à une autre qui aurait subi uniquement un congédiement sans cause — un tel résultat serait illogique et contraire aux objectifs d'une loi de protection et d'ordre public — la requérante a donc le droit d'être dédommagée pour la perte de son emploi — elle occupait un poste dans le secteur des produits promotionnels qui correspondait à son expérience professionnelle — en tant que chargée de compte «senior», la requérante assumait d'importantes responsabilités par rapport à ses collègues — les emplois similaires dans ce domaine précis sont donc restreints — la requérante devra attendre d'avoir cumulé 2 ans de service continu dans la même entreprise avant de regagner la protection que lui offrait son emploi, et 3 ans pour avoir droit à 3 semaines de vacances — une indemnité équivalant à 2 semaines de salaire par année de service est raisonnable — 4 615,40 $ sont accordés — en ce qui a trait aux intérêts, la jurisprudence utilise la méthode de calcul qui tient compte de l'accroissement progressif de la perte de salaire — le total des intérêts dus pour la perte salariale et les vacances s'élève à 5 467,88 $ — suivant Trudel c. Unimanix Industries inc. (T.A.T., 2023-10-19), 2023 QCTAT 4520, SOQUIJ AZ-51975927, 2023EXP-2703, 2023EXPT-2145, «les intérêts pour l'indemnité de perte d'emploi commencent à courir dans les huit jours de la notification de la présente décision qui en fixe le montant et en ordonne le paiement» (paragr. 90) — puisque les dommages moraux constituent une indemnité compensatrice, ils portent intérêt à partir de la date de la plainte et l'on applique en entier les taux en vigueur — la requérante a droit à des dommages exemplaires en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne — l'employeur ne pouvait ignorer les conséquences de ses actions sur cette dernière, qui se trouvait en situation de vulnérabilité au moment où il a mis fin à l'emploi — après avoir annoncé qu'un processus disciplinaire serait entamé si la requérante ne revenait pas physiquement au travail, il a coupé court à la situation en lui imposant une «démission», et ce, malgré les nombreux efforts fournis par cette dernière pour conserver son emploi — l'employeur a en outre prétendu que la requérante s'était servie du contexte pandémique lié à la COVID-19 pour arriver à ses fins, soit lui imposer le télétravail — il a ainsi fait fi des recommandations des autorités de santé publique applicables à l'époque — s'ajoute à cela un avis de cessation d'emploi déclarant des sommes qui n'ont jamais été payées — enfin, un autre différend est survenu après la fin d'emploi lors de la remise d'un téléphone cellulaire — le comportement de l'employeur revêt un caractère gravement répréhensible — en l'absence d'une preuve démontrant que les dommages punitifs réclamés sont excessifs, la somme de 2 000 $ est accordée à ce titre — les dommages punitifs ne portent intérêt qu'à partir de la décision qui les établit — une somme globale de 39 019,70 $ est accordée.

Réf. ant : (T.A.T., 2023-02-02), 2023 QCTAT 449, SOQUIJ AZ-51911252, 2023EXPT-485.