Parties
Lehuquet c. Fersten Mondial inc.
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Fixation d'une indemnité — le Tribunal a accueilli les plaintes de la requérante en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.), mais il a conclu que la réintégration n'était pas une mesure appropriée .
Décision de
Nancy Martel, juge administrative
Date
28 décembre 2023
Décision
Les sommes réclamées à titre de perte salariale et de dommages moraux ainsi que les intérêts afférents ne sont pas contestés par l'employeur — ceux-ci sont confirmés — il s'agit plutôt de décider si la requérante a droit à des indemnités pour perte d'emploi et pour dommages exemplaires — l'employeur prétend que le seul remède possible dans le cas d'une plainte pour congédiement illégal accueillie est la réintégration — selon lui, le fait que la requérante considère que celle-ci est impossible implique qu'elle a renoncé à une indemnité pour perte d'emploi — depuis Immeubles Bona ltée c. Labelle (C.A., 1995-03-20), SOQUIJ AZ-95011396, J.E. 95-733, D.T.E. 95T-427, [1995] R.D.J. 397, il est de droit constant qu'une indemnité pécuniaire pour perte d'emploi peut être accordée en plus de l'indemnité pour perte salariale, chacune ayant un objet distinct — il est ainsi possible pour un salarié de renoncer à la réintégration tout en demandant une indemnité pour perte d'emploi, dans la mesure où il est démontré que la réintégration n'est pas souhaitable — en l'espèce, c'est à la lumière de la preuve portant sur son impossibilité que le Tribunal a conclu que la réintégration n'était pas une mesure appropriée, car la démarche serait vouée à l'échec — même si la plainte en vertu de l'article 122 L.N.T avait été rejetée, celle en vertu de l'article 124 L.N.T. aurait été accueillie — dans le cas d'une plainte fondée sur ce dernier article, lorsque le plaignant prouve que la réintégration est impossible, une indemnité pour perte d'emploi peut y être substituée — en l'espèce, la démonstration de l'impossibilité de la réintégration a été faite par les 2 parties — il en découle que les remèdes prévus à l'article 128 L.N.T. peuvent être invoqués par la requérante — on ne peut retenir une position qui priverait cette dernière de l'un de ceux-ci — cela équivaudrait à offrir une protection moindre à une salariée victime à la fois d'une pratique illégale et d'un congédiement sans cause juste et suffisante, par rapport à une autre qui aurait subi uniquement un congédiement sans cause — un tel résultat serait illogique et contraire aux objectifs d'une loi de protection et d'ordre public — la requérante a donc le droit d'être dédommagée pour la perte de son emploi — elle occupait un poste dans le secteur des produits promotionnels qui correspondait à son expérience professionnelle — en tant que chargée de compte «senior», la requérante assumait d'importantes responsabilités par rapport à ses collègues — les emplois similaires dans ce domaine précis sont donc restreints — la requérante devra attendre d'avoir cumulé 2 ans de service continu dans la même entreprise avant de regagner la protection que lui offrait son emploi, et 3 ans pour avoir droit à 3 semaines de vacances — une indemnité équivalant à 2 semaines de salaire par année de service est raisonnable — 4 615,40 $ sont accordés — en ce qui a trait aux intérêts, la jurisprudence utilise la méthode de calcul qui tient compte de l'accroissement progressif de la perte de salaire — le total des intérêts dus pour la perte salariale et les vacances s'élève à 5 467,88 $ — suivant Trudel c. Unimanix Industries inc. (T.A.T., 2023-10-19), 2023 QCTAT 4520, SOQUIJ AZ-51975927, 2023EXP-2703, 2023EXPT-2145, «les intérêts pour l'indemnité de perte d'emploi commencent à courir dans les huit jours de la notification de la présente décision qui en fixe le montant et en ordonne le paiement» (paragr. 90) — puisque les dommages moraux constituent une indemnité compensatrice, ils portent intérêt à partir de la date de la plainte et l'on applique en entier les taux en vigueur — la requérante a droit à des dommages exemplaires en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne — l'employeur ne pouvait ignorer les conséquences de ses actions sur cette dernière, qui se trouvait en situation de vulnérabilité au moment où il a mis fin à l'emploi — après avoir annoncé qu'un processus disciplinaire serait entamé si la requérante ne revenait pas physiquement au travail, il a coupé court à la situation en lui imposant une «démission», et ce, malgré les nombreux efforts fournis par cette dernière pour conserver son emploi — l'employeur a en outre prétendu que la requérante s'était servie du contexte pandémique lié à la COVID-19 pour arriver à ses fins, soit lui imposer le télétravail — il a ainsi fait fi des recommandations des autorités de santé publique applicables à l'époque — s'ajoute à cela un avis de cessation d'emploi déclarant des sommes qui n'ont jamais été payées — enfin, un autre différend est survenu après la fin d'emploi lors de la remise d'un téléphone cellulaire — le comportement de l'employeur revêt un caractère gravement répréhensible — en l'absence d'une preuve démontrant que les dommages punitifs réclamés sont excessifs, la somme de 2 000 $ est accordée à ce titre — les dommages punitifs ne portent intérêt qu'à partir de la décision qui les établit — une somme globale de 39 019,70 $ est accordée.
Réf. ant : (T.A.T., 2023-02-02), 2023 QCTAT 449, SOQUIJ AZ-51911252, 2023EXPT-485.