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Réclamation d'indemnités en vertu de la Loi sur les normes du travail

Au moment du congédiement, l'employeur n'avait pas suffisamment d'informations concernant la conduite du salarié pour pouvoir prétendre avoir mis fin à son emploi en raison d'une faute grave; l'exception prévue à l'article 82.1 paragraphe 3 L.N.T. étant inapplicable, le salarié obtient une indemnité de préavis équivalant à 8 semaines de salaire.
20 février 2024

Parties

Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) c. Optimoule inc.

Juridiction

Cour du Québec, Chambre civile (C.Q.), Frontenac (Thetford Mines)

Type d'action

Demande introductive d'instance en réclamation d'indemnités en vertu de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.). Accueillie. Demande reconventionnelle en dommages-intérêts. Accueillie en partie. Demande en déclaration d'abus. Rejetée.

Décision de

Juge Charles G. Grenier

Date

7 septembre 2023


Agissant pour le compte d'un ancien salarié de l'employeur défendeur, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) réclame une indemnité de préavis de cessation d'emploi équivalant à 8 semaines de salaire ainsi qu'une indemnité de congé annuel. Elle réclame également l'indemnité additionnelle de 20 % prévue à l'article 114 L.N.T. L'employeur soutient qu'il ne doit rien au salarié, lequel aurait démissionné après avoir été questionné à propos des gestes répréhensibles qu'il avait commis. Subsidiairement, il prétend que le salarié a commis une faute grave qui justifiait de le congédier sans avis de cessation d'emploi. Alléguant que le salarié aurait trafiqué à son avantage les données reliées à l'utilisation de la machine à laquelle celui-ci était attitré, l'employeur a déposé une demande reconventionnelle afin de réclamer un dédommagement pour les pertes subies. Le salarié, qui estime qu'il s'agit d'une poursuite-bâillon, demande que le recours de l'employeur soit déclaré abusif et que ce dernier soit condamné à lui rembourser ses frais extrajudiciaires ainsi qu'à lui verser 5 000 $ en dommages compensatoires.

Décision

L'employeur qui prétend que la rupture du lien d'emploi constitue une démission doit en faire la démonstration. En l'espèce, il est surprenant que le départ fracassant du salarié n'ait pas fait l'objet d'un écrit postérieur de la part de l'employeur afin d'officialiser son départ et d'en documenter les raisons. Il est également surprenant qu'aucune des parties en cause n'ait tenté de discuter de la situation par la suite, d'autant plus que le président de l'entreprise s'entendait bien avec le salarié et le considérait comme un atout. Compte tenu de l'existence d'un certain flou quant à ce qu'il s'est réellement passé, il y a lieu de considérer que le salarié n'a pas démissionné, mais qu'il a plutôt été congédié.

Ayant été congédié, le salarié avait donc droit à l'indemnité de préavis de cessation d'emploi, à moins qu'il n'ait commis une faute grave justifiant son congédiement (art. 82.1 paragr. 3 L.N.T.) ou la résiliation unilatérale de son contrat de travail pour des motifs sérieux (art. 2094 du Code civil du Québec ). Or, l'employeur n'a pas démontré que, au moment du congédiement, il avait suffisamment d'informations concernant la conduite du salarié pour pouvoir prétendre qu'il avait mis fin à son emploi en raison d'une faute grave. Les fautes reprochées au salarié au moment de son congédiement, que l'employeur a tenté d'étayer par la suite — notamment, des heures de travail effectuées en trop et l'utilisation de l'équipement de l'entreprise à des fins commerciales — étaient plutôt de simples soupçons. Elles étaient donc loin de permettre d'écarter, en considération d'une preuve ultérieure, l'application du principe de la concomitance des fautes reprochées. Puisque le salarié n'a pas été congédié pour une faute grave ou un motif sérieux, il avait le droit de recevoir un avis de cessation d'emploi ou, dans le présent cas, une indemnité de 8 640 $ équivalant à 8 semaines de salaire. Il y a également lieu d'accorder l'indemnité additionnelle de 20 % réclamée par la CNESST, laquelle n'a pas été contestée par l'employeur.

L'employeur réclame notamment 17 434 $ au salarié, soit l'équivalent des 580 heures de travail qu'il aurait délibérément effectuées en trop afin, essentiellement, de se mettre en valeur et d'obtenir une augmentation de salaire sur la foi de fausses déclarations. Même s'il a été démontré que le salarié a consacré plus d'heures à son travail que ses collègues, l'écart constaté n'est pas nécessairement aussi élevé que l'employeur le prétend. Au surplus, ce dernier n'a pas démontré une volonté délibérée de la part du salarié de gonfler ses heures de travail. Par conséquent, les réclamations de l'employeur à cet égard sont rejetées, tout comme sa réclamation de 15 000 $ pour compenser les troubles et inconvénients subis.

L'employeur réclame également 12 000 $ en lien avec l'usage sans droit de sa machinerie et de ses logiciels par le salarié. La preuve a démontré de façon manifeste que l'utilisation des machines de l'entreprise à des fins personnelles était acceptée par l'ancienne administration et qu'elle l'est encore par le président actuel. Comme bien d'autres employés, le salarié utilisait la machinerie à des fins personnelles le soir et la fin de semaine. Le président a témoigné qu'il n'était toutefois pas question de vendre les pièces fabriquées avec les machines de l'entreprise et qu'il avait été stupéfait d'apprendre l'ampleur du commerce mené par le salarié, qu'il assimile à du vol. Le fait que l'employeur aurait eu avantage à préciser les règles applicables à l'usage de ses machines n'excuse pas le comportement du salarié, qui a décidé d'en faire un usage commercial sans une permission précise de la direction. En agissant de la sorte, le salarié a commis une faute contractuelle à l'endroit de son employeur. Le préjudice réellement subi étant difficilement quantifiable, le tribunal accorde des dommages compensatoires de 3 500 $ à l'employeur.

En ce qui a trait à la demande de déclaration d'abus du salarié, le tribunal constate notamment que la demande reconventionnelle de l'employeur semble avoir été déposée à la suite du dépôt du recours de la CNESST et que de nombreuses modifications y ont été apportées. Or, ces modifications ont été apportées afin d'ajouter la réclamation liée à la production des pièces et, de façon générale, d'abaisser les sommes réclamées par l'employeur. Même s'il était désagréable pour le salarié de recevoir les actes de procédure modifiés et d'avoir à en discuter avec son procureur, ces modifications circonscrites et documentées ne présentent pas de prime abord un caractère abusif aux termes de l'article 51 du Code de procédure civile (C.P.C.). En outre, le tribunal ne décèle rien de manifestement non fondé, de frivole ou de dilatoire dans les allégations de l'employeur ni dans les conclusions recherchées par sa dernière demande introductive d'instance. Les prétentions relatives à l'abus de procédure sont donc rejetées. Cependant, le fait que la preuve de nature technique de l'employeur était mal ficelée a causé de nombreuses suspensions d'audience et a requis la production de nouveaux documents. Le procureur du salarié a dû s'adapter et réexaminer les nouvelles données fournies par l'employeur, ce qui a augmenté le nombre d'heures de travail consacrées à sa défense. Ce genre de manquement important étant visé à l'article 342 C.P.C., l'employeur est condamné à verser 1 000 $ au salarié à titre de frais de justice.