lois-et-reglements / jurisprudence

Personne salariée au sens de la loi

Une directrice artistique qui n'avait pu obtenir une copie de son contrat préliminaire d'embauche a démontré par d'autres moyens qu'elle était bel et bien une salariée; l'employeur n'ayant pas repoussé la présomption selon laquelle elle avait fait l'objet d'un congédiement déguisé en raison d'une réclamation pécuniaire, la plainte (art. 122 L.N.T.) est accueillie et la réintégration est ordonnée.
22 février 2024

Parties

Laforge c. Jetté

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Laurentides

Type d'action

ty Plainte en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes du travail à l'encontre d'un congédiement — accueillie pe

Décision de

Maude Pepin Hallé, juge administrative

Date

21 novembre 2023


Décision

Plainte en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes du travail à l'encontre d'un congédiement — accueillie — pour bénéficier de la protection à l'encontre d'une pratique interdite, la plaignante doit d'abord démontrer qu'elle est une personne salariée au sens de la loi — elle a été embauchée à titre de directrice artistique — elle affirme avoir signé un contrat préliminaire reflétant les grandes lignes de l'entente avec l'employeur sur la tablette électronique du président de l'entreprise — l'employeur dément l'existence d'une entente écrite ou d'un cadre horaire — la plaignante n'a pas été en mesure d'obtenir une copie du contrat préliminaire et ne peut, de bonne foi, en produire une — il lui est donc permis de faire la preuve de celui-ci par tous les moyens — la plaignante affirme avoir appelé la personne qui l'avait mise en contact initialement avec le président, soit la directrice du marketing et du développement des affaires, pour l'informer de la signature d'un contrat de travail le jour même — le Tribunal retient que ces appels ont eu lieu — la version de la plaignante voulant que ces conversations se soient déroulées le 2 novembre 2019 est retenue — pour corroborer l'existence d'une entente signée, la plaignante dépose 2 séries de courriels — l'employeur nie l'authenticité de ces courriels — aucune des pièces déposées en preuve n'est le document natif, soit l'«original» numérique des échanges de courriels — ceux-ci ont été l'objet de plusieurs transferts technologiques, soit des impressions sur support papier ou numérique — les métadonnées numériques inhérentes aux courriels initiaux sont absentes — le Tribunal n'est pas lié par les règles de preuve en matière civile — il retient néanmoins des enseignements doctrinaux et jurisprudentiels que, lorsque l'authenticité ou l'intégrité de l'impression d'un courriel est contestée, la personne qui dépose un tel document a le fardeau de convaincre le Tribunal de son authenticité au moyen d'une preuve prépondérante — une simple preuve d'«authenticité traditionnelle» ( Benisty c. Kloda (C.A., 2018-04-17), 2018 QCCA 608, SOQUIJ AZ-51486121, 2018EXP-1119, paragr. 99) est de nature à permettre de se décharger de ce fardeau — le témoignage de l'une des parties aux échanges ou les métadonnées apparentes, comme les dates, les heures et les inscriptions des transferts, seront des moyens de preuve recevables pour établir l'authenticité d'un échange de courriels déposé en format imprimé ou numérique — cette dernière approche sied mieux à la réalité des audiences du Tribunal — elle a le mérite de respecter les objectifs de proportionnalité, de souplesse et d'accessibilité qui guident le Tribunal en matière d'administration de la preuve et de gestion de la procédure — l'analyse de l'ensemble de la preuve en l'espèce convainc le Tribunal de l'authenticité et de l'intégrité des échanges de courriels — il est retenu qu'il y a eu échange de consentement entre les parties le 2 novembre 2019 sur les principales obligations contractuelles, que les parties ont alors signé un document en faisant état, que la plaignante a tenté d'en obtenir une copie de façon concomitante des événements et que le projet de contrat de janvier 2020 en reflète également le contenu — celui-ci stipule que la plaignante est embauchée pour une durée indéterminée à titre de directrice artistique — la rémunération de cette dernière est de 39,50 $ de l'heure selon un horaire de 40 heures par semaine, du lundi au vendredi, avec une pause repas de 60 minutes — les clauses mentionnent notamment une période d'essai de 60 jours travaillés, 20 jours de vacances, une liste d'outils fournis par l'employeur et la possibilité de souscrire une assurance-maladie — l'employeur prétend que la plaignante a utilisé ses propres outils de travail — une personne peut être salariée même si elle fournit le matériel qu'elle utilise — dans le contexte où la plaignante se rapportait presque quotidiennement au président et où elle fournissait également des relevés de temps détaillés, le cadre d'exécution de son travail était assujetti aux exigences de l'employeur, qui contrôlait son horaire et les tâches effectuées pendant les heures de travail — les circonstances d'embauche de la plaignante démontrent qu'elle a été choisie pour remplir les fonctions de directrice artistique en raison de ses qualités personnelles et qu'elle ne pouvait se faire remplacer par une tierce personne dans l'accomplissement de ce rôle — quant à la rémunération, l'employeur prétend qu'il n'a pas de système de paie et qu'il effectuait des paiements après avoir reçu une facture — il a produit des captures d'écran de 3 virements bancaires, mais aucune facture — l'employeur ne peut invoquer le non-respect de ses obligations contractuelles pour prétendre que la nature du contrat faisait de la plaignante une entrepreneure indépendante — la plaignante était une salariée.

La plaignante a déposé une plainte pécuniaire et administrative le 27 mars 2020 pour salaire impayé et absence de bulletin de paie — cette dernière a en outre réclamé le paiement de ses heures travaillées par courriel le 6 avril 2020 — à partir de cette date, les heures de travail de la plaignante ont diminué considérablement et celle-ci s'est vu retirer des responsabilités — la plaignante affirme que la démission subséquente a été induite par l'employeur et qu'elle doit être assimilée à un congédiement déguisé — le témoignage de la plaignante et le dépôt de ses relevés de temps démontrent une diminution d'environ 75 % de ses heures de travail — cela représenterait une perte financière substantielle selon la rémunération prévue — la plaignante explique que les activités se sont poursuivies à son insu et qu'on l'a tenue à l'écart de ses responsabilités — une personne raisonnable considérerait qu'une telle diminution de ses heures et de ses responsabilités constitue une réduction substantielle de ses conditions de travail — la plaignante bénéficie de la présomption selon laquelle la diminution de ses heures et de ses responsabilités ayant entraîné son congédiement déguisé constitue une mesure de représailles — l'employeur a échoué à repousser la présomption — il n'a offert aucune preuve précise, tangible, plausible et logique pour soutenir sa prétention voulant que les tâches et les responsabilités de la plaignante aient été réduites pour des motifs intrinsèques aux activités de l'entreprise — le congédiement est annulé et la réintégration de la plaignante ordonnée.