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Indemnité pour perte d'emploi

Le travailleur, qui a été congédié sans cause juste et suffisante, a droit à 20 000 $ à titre d'indemnité pour perte d'emploi afin de tenir compte de son âge (63 ans), de sa situation particulière dans l'entreprise, qu'il a fondée, et de l'indemnité pour perte salariale substantielle qu'il va recevoir.
5 février 2024

Parties

Trudel c. Unimanix Industries inc.

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Fixation d'une indemnité

Décision de

Irène Zaïkoff, juge administrative

Date

19 octobre 2023


Décision

Le TAT a accueilli la plainte du requérant pour congédiement sans cause juste et suffisante et a réservé sa compétence à l'égard des mesures de réparation — les parties s'entendent pour considérer que la période pertinente quant au calcul de la perte salariale s'étend de la date du congédiement à celle de la décision ayant statué sur le fond — le requérant a été congédié le 23 mars 2019 et la décision a été rendue le 1er août 2022, ce qui représente 175 semaines — le requérant a reçu une indemnité équivalant à 1 semaine de salaire — il reste donc 174 semaines à compenser — selon l'employeur, le salaire annuel est fondé sur une semaine de 40 heures de travail — le nombre d'heures de travail effectué par le requérant ayant diminué entre 2016 et 2019, celui-ci prétend qu'il faut tenir compte du salaire hebdomadaire gagné au cours des 52 semaines ayant précédé sa fin d'emploi — le contrat d'emploi prévoit un salaire brut annuel — celui-ci était de 90 000 $ au départ, mais a été réduit à 80 000 $, avec le consentement des parties, puisque le requérant voulait réduire ses heures — les parties n'ont pas convenu d'une rémunération horaire, mais d'un salaire annuel — le salaire devant servir de référence est donc de 80 000 $ par année, ce qui correspond à 1 538,46 $ par semaine — le salaire perdu est donc de 267 692,04 $ — puisque l'augmentation de salaire du requérant n'a pas été démontrée, il n'y a pas lieu d'accorder une majoration — ce dernier avait l'obligation de réduire ses dommages — il est normal qu'il ait eu besoin d'un certain temps pour se remettre du choc d'avoir été congédié, d'autant plus qu'il a dû quitter abruptement l'entreprise qu'il avait fondée — le délai qui s'est écoulé entre le congédiement, le 23 mars 2019, et le début de ses démarches, au mois de juillet suivant, peut se justifier, surtout que le requérant n'est pas resté complètement inactif, ayant suivi au printemps un cours offert par l'assurance-emploi — ce dernier a déployé par la suite tous ses efforts afin de procéder à l'achat d'une entreprise — il n'était pas dans une position favorable pour se trouver un emploi, non seulement à cause de son âge (63 ans), mais aussi parce qu'il a fait toute sa carrière à son compte, dans un domaine spécialisé et que des clauses contractuelles l'empêchaient de travailler dans ce secteur pendant un certain temps — dans la mesure où l'employeur avait lui-même rappelé au requérant ses obligations contractuelles et avait intenté une action civile contre lui, il ne peut maintenant lui reprocher de s'être acquitté de celles-ci — même si la démarche du requérant paraît raisonnable, compte tenu de sa situation, le temps consacré à cette fin est disproportionné — la preuve ne permet pas de considérer que le projet d'acquisition d'une entreprise l'a complètement occupé entre juillet 2019 et février 2020 — les quelques démarches entreprises entre février et mars 2020 sont minimales et insuffisantes — le requérant n'a rien fait lorsque la pandémie de la COVID-19 s'est résorbée et que le marché de l'emploi a repris — la pandémie ne peut non plus expliquer l'absence totale de démarches effectuées en 2021 et en 2022 — il y a donc lieu de diminuer de 30 % l'indemnité pour perte salariale, ce qui représente environ 1 année de salaire — l'indemnité pour perte salariale est donc de 187 384,43 $ — quant aux autres avantages non pécuniaires, il n'est pas contesté que le requérant a droit à 2 485,20 $ pour son congé annuel et à 4 375 $ pour les frais d'un téléphone cellulaire — la preuve démontre qu'il a également droit à 39 375 $, ce qui représente l'allocation pour véhicule automobile

L'employeur prétend que le requérant n'a pas droit à une indemnité pour perte d'emploi — subsidiairement, il fait valoir que ce dernier a 3 ans de service continu parce qu'il a démissionné en tant qu'administrateur, président et employé le 30 mars 2016, soit lors de la vente de l'entreprise, et qu'il a donné quittance à l'égard de toute réclamation, poursuite ou cause d'action qu'il avait ou aurait pu faire valoir contre lui — cet argument est mal fondé, car il vient écarter l'article 97 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) — l'article 124 L.N.T. est d'ordre public et le requérant ne pouvait y renoncer d'avance — la véritable question est plutôt de déterminer si le requérant était un salarié avant le 31 mars 2016 — ce dernier était le président de l'entreprise jusqu'à la vente de celle-ci — il n'existait aucun lien de subordination entre lui et l'employeur, même s'il y travaillait et touchait un salaire — le requérant ne répondait pas à la définition de «personne salariée» au sens de la loi et ne pouvait donc cumuler du service continu — une indemnité de 20 000 $ pour perte d'emploi est appropriée afin de tenir compte de son âge et de sa situation particulière dans l'entreprise, mais aussi de l'indemnité pour perte salariale substantielle qu'il recevra.

Le congédiement ayant été imposé en violation de la Loi sur les normes du travail , le requérant a le droit d'être indemnisé pour ses honoraires d'avocats raisonnables, lesquels s'élèvent à 35 000 $, le reste de la somme de 44 398,39 $ représentant les débours et les taxes applicables — le fait que les honoraires réclamés soient supérieurs au barème ne signifie pas qu'ils sont automatiquement déraisonnables — plusieurs éléments propres au présent dossier ont entraîné du travail supplémentaire et expliquent les frais engagés — quant au tarif horaire du procureur, l'employeur n'apporte aucune preuve pour étayer sa prétention selon laquelle il serait exagéré — le requérant a signé une déclaration sous serment dans laquelle il affirmait que c'est lui, et non sa société de gestion, qui avait payé les honoraires de son procureur — des honoraires d'avocats de 44 398,39 $ doivent être remboursés — le requérant a également droit à 5 000 $ à titre de dommages moraux — le congédiement a été fait d'une façon laconique, irrespectueuse et humiliante — le requérant a été traumatisé — en ce qui concerne les intérêts dus pour les sommes visant à compenser le salaire et les avantages de nature pécuniaire perdus, la jurisprudence a adopté la méthode énoncée dans Laplante-Bohec c. Publications Quebecor Inc. (T.T., 1979-08-16), [1979] T.T. 268 — les intérêts sont de 47 088,52 $ en l'espèce — en ce qui concerne les intérêts dus sur l'indemnité de perte d'emploi, le Tribunal fait sien le raisonnement élaboré dans Ste-Marie c. Locweld inc. (T.A.T., 2022-07-21), 2022 QCTAT 3490, SOQUIJ AZ-51869939, 2022EXP-2193, 2022EXPT-1798, et conclut que les intérêts ont commencé à courir dans les 8 jours ayant suivi la notification de la présente décision, laquelle en fixait le montant et en ordonnait le paiement — les intérêts dus sur les honoraires d'avocats sont de 4 881,24 $ — la première facture a été transmise en mai 2019 — le Tribunal retient cette date comme point de départ — au moment de l'audience, 10 612,69 $ étaient toujours dus — il y a donc lieu de retirer ce montant de la somme portant intérêt — les dommages moraux portent intérêt à partir de la date du dépôt de la plainte.

Réf. ant : (T.A.T., 2022-08-01), 2022 QCTAT 3661, SOQUIJ AZ-51871771, 2022EXPT-1940. Réf. ant : (T.A.T., 2022-08-01), 2022 QCTAT 3661, SOQUIJ AZ-51871771, 2022EXPT-1940.