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Congédiement annulé, mais réintégration impossible

Même si le plaignant a manqué à ses obligations de confidentialité et a profité de sa position de président de division afin d'en faire bénéficier des proches, cela ne peut être assimilé à de la fraude ou à de la malhonnêteté puisqu'il croyait avoir la latitude pour prendre de telles décisions; le congédiement est annulé, mais la réintégration est impossible étant donné notamment la relation entre les parties.
23 février 2024

Parties

Di Fruscia c. Traffic Tech inc.

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail à l'encontre d'un congédiement — accueillie

Décision de

Véronique Emond, juge administrative

Date

22 novembre 2023


Décision

le plaignant était président de la division internationale d'une entreprise de logistique spécialisée en transport commercial lorsqu'il a été mis à pied temporairement, puis congédié — l'employeur prétend que la plainte est irrecevable puisque le plaignant était un cadre supérieur — il a toutefois été démontré que, malgré sa rémunération et son titre, l'autonomie décisionnelle du plaignant était restreinte, voire inexistante — il en va de même de sa participation à l'élaboration des stratégies de l'entreprise — à quelques occasions, les décisions du plaignant ont été supplantées par celles de son supérieur, le chef des opérations, ou du propriétaire de l'entreprise — cela témoigne d'une volonté de confiner le plaignant dans une position subalterne, exempte d'autorité — la mise à pied du plaignant en mars 2020, soit lors d'une période critique où des décisions stratégiques devaient être prises pour la survie de l'entreprise, témoigne du fait qu'il ne jouait pas un rôle stratégique et décisionnel — le plaignant n'était pas un cadre supérieur au moment de sa fin d'emploi — il peut donc bénéficier du présent recours.

L'employeur affirme qu'une enquête menée durant la mise à pied du plaignant a révélé de nombreux manquements qui ont rompu le lien de confiance requis par sa fonction — même s'il connaissait la politique relative à l'utilisation des ressources de l'entreprise à des fins personnelles, le plaignant a tout de même demandé à un membre de son équipe d'assurer la manutention d'effets personnels appartenant à une amie sans en informer son supérieur — il n'a cependant tiré aucun avantage personnel de cette situation et a remboursé les frais supportés par l'employeur — de plus, le fils et le frère du plaignant se sont fait expédier des articles par l'intermédiaire des services de l'employeur à plusieurs reprises — le Tribunal prête foi à la version d'un témoin de l'employeur voulant qu'il soit probable que le plaignant ait formulé une requête visant à ne pas facturer ces services aux membres de sa famille — ce dernier a profité de sa position afin d'obtenir des privilèges pour des amis ou des membres de sa famille — ce faisant, il a manqué au code de conduite des affaires de l'employeur — il est également reproché au plaignant d'avoir commis un abus de confiance en utilisant frauduleusement son allocation de dépenses pour inviter des gens au restaurant — or, il a été démontré que le plaignant avait notamment été embauché pour ses contacts au sein d'entreprises d'envergure — le Tribunal retient qu'il entretenait des relations d'affaires et amicales avec certaines personnes, mais qu'il tentait de faire du développement des affaires au bénéfice de l'employeur — celui-ci reproche au plaignant d'avoir contrevenu à sa politique de confidentialité en transférant des courriels contenant des informations privilégiées ou confidentielles à son adresse de courriel personnelle — le Tribunal ne prête pas foi à la version du plaignant selon laquelle les budgets de l'entreprise et les listes de clients ont été transférés à des fins utilitaires — aucune preuve d'une utilisation de ces informations à l'encontre des intérêts de l'employeur n'a toutefois été faite — quant au transfert d'échanges de courriels avec son supérieur, le Tribunal considère comme un facteur atténuant le fait que le plaignant voulait se ménager une preuve puisque les choses n'allaient pas comme il le souhaitait — or, il demeure qu'il s'agissait de manquements à ses obligations de confidentialité nommément prévues à la politique de l'entreprise — enfin, l'employeur invoque certaines lacunes dans la prestation de travail du plaignant — or, ce dernier n'a pas été informé des attentes de l'employeur et n'a jamais fait l'objet d'une évaluation de son rendement — à aucun moment son supérieur ne l'a avisé que son travail était insatisfaisant et qu'il devait redresser la situation ni que son emploi était en jeu.

Les manquements qui ont été démontrés ne justifiaient pas le congédiement sans préavis du plaignant — il n'a pas personnellement tiré profit de ses actes, et les sommes dont l'employeur a été privé étaient dérisoires — il n'y a pas lieu d'assimiler les fautes commises à de la fraude ou à de la malhonnêteté — la prétention du plaignant selon laquelle il croyait jouir de la latitude nécessaire pour prendre de telles décisions est crédible — même si le plaignant occupait un poste de cadre exigeant un haut niveau d'intégrité et d'exemplarité, celui-ci aurait pu ajuster son comportement s'il avait été avisé expressément qu'il ne pouvait agir comme il l'avait fait — le congédiement était une sanction nettement trop sévère dans les circonstances et il est annulé — en ce qui a trait à la réintégration du plaignant, il appert que le poste qu'il occupait, qui avait été créé particulièrement pour lui, a été aboli peu après son congédiement — en outre, la relation entre les parties et les circonstances de la fin d'emploi sont telles qu'il est impossible de réintégrer le plaignant.