Parties
Zankri c. Gilles Maynard inc.
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'un congédiement — rejetée.
Décision de
François Demers, juge administratif
Date
30 août 2023
Décision
Le plaignant a été embauché en 2006 par l'employeur, une entreprise spécialisée dans la réparation, la fabrication et l'importation de bijoux — il devait initialement s'occuper de la comptabilité interne de la société — à compter de l'année 2012, l'employeur a envisagé de vendre l'entreprise et le plaignant s'est montré désireux de l'acheter — vers 2014, l'employeur et le plaignant se sont entendus pour que ce dernier prenne éventuellement le contrôle de la société et se porte acquéreur de son capital-actions — à l'automne 2020, comme les démarches d'acquisition ne progressaient pas, l'employeur a décidé d'arrêter le processus de vente et a mis fin à l'emploi du plaignant — il soutient que le plaignant ne peut se prévaloir de la Loi sur les normes du travail puisqu'il était un cadre supérieur de l'entreprise — à compter de 2015, le plaignant a été présenté aux employés de l'entreprise comme le futur acquéreur de la société et leur futur patron — par la suite, il s'est présenté aux tiers à titre d'«associé-partner», de «coprésident» ou de «propriétaire» de l'entreprise — au moment de la fin d'emploi, outre l'employeur lui-même, personne d'autre que le plaignant n'assumait de fonctions de gestion dans la société — il n'est pas déterminant que l'employeur ait conservé un certain droit de regard au sujet de la gestion du personnel au quotidien ni même qu'il ait aussi exercé un pouvoir de gestion à l'endroit de certains employés — le plaignant exerçait réellement un pouvoir de gestion important et récurrent auprès du personnel — le plaignant relevait directement de 1 seule personne, le président et actionnaire de l'entreprise — puisqu'il s'agit d'un petit milieu de travail qui compte tout au plus une vingtaine de salariés, cet élément n'est pas déterminant — le plaignant, à titre d'acquéreur potentiel de l'entreprise, disposait d'un accès incomparable au président, dont il était à tout le moins l'«homme de confiance» — il était le salarié le mieux rémunéré de l'entreprise — jusqu'à sa fin d'emploi, le plaignant jouissait d'une pleine latitude pour influer sur les décisions stratégiques — il est probable qu'il ait voulu activement insuffler sa vision à l'entreprise, de laquelle il voulait se porter acquéreur — le projet d'acquisition n'était pas qu'un vague souhait — dès 2015, le plaignant a versé à l'entreprise 125 000 $ — lorsque la société a décidé d'accorder un prêt à l'une de ses bonnes relations d'affaires, le plaignant a accordé personnellement à celle-ci, au même moment, un prêt de 10 000 $ — ces versements rendent invraisemblable le scénario voulant que le plaignant se soit contenté d'un simple rôle d'exécutant de 2015 à 2020 — ce dernier exerçait un pouvoir d'influence important sur l'avenir de l'entreprise ainsi que sur la détermination des moyens pour assurer sa rentabilité et sa croissance — le plaignant soutient qu'il n'était pas maître de la destinée de la société puisque l'employeur prenait les décisions et disposait d'un droit de veto — il s'agit d'une vision qui restreindrait la qualification de «cadre supérieur» à la seule personne qui dispose du droit ultime de décision — cette approche a été écartée par la Cour d'appel dans Delgadillo c. Blinds To Go Inc. (C.A., 2017-05-19), 2017 QCCA 818, SOQUIJ AZ-51394358, 2017EXP1684, 2017EXPT-928 — jusqu'à sa fin d'emploi, le plaignant jouissait d'une autonomie, d'une marge discrétionnaire et d'un pouvoir décisionnel importants — ce n'est pas parce que le plaignant se proposait d'acheter l'entreprise qu'il était un cadre supérieur — le processus d'acquisition dont il avait convenu avec l'employeur lui a permis d'exercer progressivement son influence sur la société, si bien que, au moment de sa fin d'emploi, le plaignant «portait tous les chapeaux» — même s'il ne décidait pas seul de tous les aspects de la gestion de la société, sa participation active aux décisions ayant une incidence sur son avenir faisait de lui un cadre supérieur, ce qui l'empêchait de se prévaloir de l'article 124 L.N.T. pour contester son congédiement, qu'il estime sans cause juste et suffisante.