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Abus de droit de l’employeur

La négligence dont a fait preuve l'employeur en faisant un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse sans avoir d'abord rencontré le plaignant constitue un abus de droit suffisant pour engager sa responsabilité civile et justifier une condamnation à des dommages-intérêts.
15 novembre 2023

Parties

Syndicat de l'enseignement de la région du Québec et Centre de services scolaire des Premières-Seigneuries (Maurice Bouffard)

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Fixation d'une indemnité.

Décision de

Me Robert L. Rivest, avocat

Date

31 mai 2023


Victime d'une dénonciation intempestive à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), un enseignant en éducation physique a obtenu une sentence arbitrale, confirmée par la Cour d'appel, cassant 2 décisions de l'employeur prises à son égard, soit l'imposition d'une suspension avec solde et un avertissement écrit. Les parties n'ont pu s'entendre sur la question des dommages subis. Le syndicat réclame la somme de 35 000 $ en dommages moraux ainsi que 15 000 $ pour atteinte à la réputation. Pour sa part, l'employeur considère que l'annulation de ces décisions ne doit pas entraîner le versement de sommes à titre de dommages moraux ou de dommages pour atteinte à la réputation. Selon lui, les dommages découleraient essentiellement du signalement, alors que la Loi sur la protection de la jeunesse prévoit qu'une personne qui en est l'auteur ne peut être poursuivie pour des actes accomplis de bonne foi. De plus, le signalement étant la source du stress et de l'anxiété du plaignant, il s'agirait d'un préjudice indirect dont l'employeur ne saurait être imputable.

Décision

L'employeur ne peut s'appuyer sur le fait que la DPJ a effectivement traité le dossier du plaignant à la suite de son signalement pour couvrir sa propre négligence, alors qu'il avait le devoir de faire les vérifications nécessaires à titre de gestionnaire. La proposition de l'employeur constitue un raisonnement circulaire erroné. La question qui a été débattue devant le tribunal d'arbitrage n'a pas été d'établir le bien-fondé ou non du signalement. Les décisions de l'employeur auxquelles font référence les griefs constituent le coeur du débat, à savoir la suspension du plaignant et l'avertissement écrit qui lui a été remis. Ces 2 décisions ont été jugées non justifiées précisément en raison des actes fautifs de l'employeur, qui a négligé d'agir et de faire les vérifications nécessaires comme l'oblige son devoir de gestionnaire. Cette absence de prudence, de diligence ou d'équité constitue un abus de droit suffisant pour engager sa responsabilité. Le préjudice subi par le plaignant est la conséquence logique, directe et immédiate de la conduite de l'employeur. Après avoir analysé les précédents, le Tribunal accorde au plaignant la somme de 25 000 $ à titre de dommages non pécuniaires et 5 000 $ pour compenser l'atteinte à sa réputation.

Réf. ant : (T.A., 2018-08-15), 2018 QCTA 519, SOQUIJ AZ-51532951, 2018EXPT-1931; (C.S., 2019-12-13), 2019 QCCS 5627, SOQUIJ AZ-51658833, 2020EXP-266, 2020EXPT-222; (C.A., 2020-05-15), 2020 QCCA 674, SOQUIJ AZ-51688183, 2020EXP-1441, 2020EXPT-1063; (C.A., 2021-11-03), 2021 QCCA 1645, SOQUIJ AZ-51805743, 2021EXP-2785, 2021EXPT-1901.