lois-et-reglements / jurisprudence

De nouvelles dispositions qui incorporent la notion d'«obligation d'accommodement»

Le dossier du travailleur doit être retourné à la CNESST afin qu'elle détermine s'il existe un emploi convenable chez l'employeur, et ce, en tenant compte des nouvelles dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui incorporent la notion d'«obligation d'accommodement».
31 octobre 2023

Parties

Pierre-Jacques et CIUSSS du Centre-Ouest-de-l'Île-de-Montréal (Hôpital général juif Sir Mortimer B.)

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Richelieu-Salaberry

Type d'action

Contestations par le travailleur de décisions relatives à sa capacité d'exercer son emploi et à la détermination d'un emploi convenable. La première contestation est accueillie; l'autre est sans objet. Dossier retourné à la CNESST.

Décision de

Gaétan Guérard, juge administratif

Date

2 mai 2023


Le travailleur a subi une lésion professionnelle ayant entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Le 27 avril 2022, la CNESST a déterminé que celui-ci n'était plus capable d'exercer son emploi prélésionnel et qu'il lui était impossible de déterminer un emploi convenable chez son employeur. Dans une autre décision rendue le même jour, la CNESST a déclaré que l'emploi de livreur de petits colis constituait un emploi convenable et que le travailleur était capable de l'exercer. Le travailleur prétend que la décision ayant conclu à l'impossibilité de déterminer un emploi convenable chez l'employeur était prématurée, car celui-ci n'avait pas rempli son obligation d'accommodement.

Décision

Pour répondre à la question en litige, il faut déterminer quelles dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) sont applicables. En effet, entre le dépôt de la contestation du travailleur, le 28 juillet 2022, et la tenue de la première audience, le 13 janvier 2023, de nouvelles dispositions concernant notamment la réadaptation professionnelle sont entrées en vigueur conformément à la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. Celles-ci comportent plusieurs modifications importantes visant notamment à se conformer aux enseignements de la Cour suprême du Canada formulés dans Québec (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron (C.S. Can., 2018-02-01), 2018 CSC 3, SOQUIJ AZ-51463650, 2018EXP-396, 2018EXPT-232, [2018] 1 R.C.S. 35. Par exemple, le nouvel article 170 LATMP prévoit que c'est la CNESST qui détermine s'il y a un emploi convenable chez l'employeur, alors que, dans l'ancienne version, celle-ci ne pouvait que «demander» à l'employeur s'il y avait un emploi convenable disponible chez lui. Le nouvel article 170.1 LATMP permet également à la CNESST d'exiger qu'on lui fournisse «les renseignements et les documents nécessaires» à la détermination de l'emploi convenable. Le nouvel article 170.2 LATMP oblige également l'employeur à collaborer à la mise en oeuvre des mesures qui doivent être mises en place dans son établissement «sous réserve de la démonstration d'une contrainte excessive», et l'article 170.4 LATMP prévoit la possibilité de lui imposer des sanctions pécuniaires s'il ne se conforme pas à ses obligations. Ce faisant, les nouvelles dispositions ont modifié de façon importante les droits et les obligations du travailleur, de l'employeur et de la CNESST. Il faut donc appliquer les principes généraux de résolution des conflits des lois dans le temps.

Lorsque le législateur souhaite qu'une nouvelle loi ne s'applique qu'à des faits postérieurs à une certaine date, il le prévoit expressément. Par exemple, l'article 277 de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail énonce expressément que le nouvel article 53 LATMP «s'applique à tout travailleur victime d'une lésion professionnelle qui est survenue à compter du 6 octobre 2022». En ce qui concerne les nouvelles dispositions concernant la réadaptation professionnelle, la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail prévoit seulement leur entrée en vigueur le 6 octobre 2022. Il est évident que, même si un travailleur a subi une lésion professionnelle avant l'entrée en vigueur de ces dernières, la CNESST et le Tribunal doivent appliquer les nouvelles dispositions si le processus de réadaptation professionnelle n'a débuté qu'après le 6 octobre 2022. En l'espèce, la lésion professionnelle est survenue avant cette date, et la CNESST a entrepris le processus de réadaptation professionnelle et rendu ses décisions avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Le travailleur a cependant contesté celles-ci et les nouvelles dispositions étaient en vigueur au moment de l'audience.

Le Tribunal a le pouvoir de «rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu». Or, les nouvelles dispositions sont en vigueur depuis le 6 octobre 2022 et elles sont d'application immédiate. Appliquer ces dispositions au présent dossier ne constitue pas une application rétroactive, mais plutôt rétrospective. De plus, la position de l'employeur, lequel a demandé de ne pas appliquer ces dernières, revient à demander la reconnaissance de droits acquis à la CNESST. Or, selon la doctrine, le droit acquis ne s'applique pas à l'administration, et l'application immédiate s'impose lorsqu'une nouvelle loi est favorable à l'administré. En outre, même si le Tribunal refusait d'appliquer les nouvelles dispositions, il a tout de même l'obligation d'utiliser la règle du précédent faisant autorité, soit le stare decisis, et d'interpréter la loi en tenant compte de l'obligation d'accommodement, comme il a été décidé par la Cour suprême dans Caron.

Quant au fond du litige, la CNESST a appliqué les dispositions de la loi telles qu'elles existaient avant le 6 octobre 2022 tout au long du processus de réadaptation professionnelle. Le 5 mars 2021, elle a laissé un message à l'employeur pour savoir si un emploi convenable était disponible. Cette démarche correspondait à l'application des dispositions figurant à l'article 170 LATMP avant les modifications apportées par la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. Selon les notes évolutives des échanges entre l'employeur et l'agente de la CNESST, un poste d'agent administratif a été envisagé. L'accès à cet emploi nécessitait de passer un test d'aptitude relatif à certaines applications bureautiques, et le travailleur s'est montré prêt à suivre la formation requise à cet effet. Or, le motif invoqué par l'employeur pour écarter cet emploi constitue un grave préjugé, ce dernier ayant prétendu que le travailleur ne pourrait pas réussir le test, et ce, même après avoir suivi cette formation. Même en appliquant les anciennes dispositions, la CNESST aurait pu prendre en considération ce poste à titre d'emploi convenable et offrir au travailleur la formation nécessaire. En effet, l'emploi était disponible, le travailleur était intéressé par celui-ci et l'employeur a même déterminé la mesure de réadaptation qui aurait permis à ce dernier d'être capable d'occuper le poste avant l'expiration du délai pour l'exercice de son droit de retour au travail, soit une formation portant sur certaines applications bureautiques. La CNESST a toutefois joué le rôle passif prévu dans les anciennes dispositions de la loi puisqu'elle a simplement attendu que l'employeur lui dise s'il avait ou non un emploi convenable à offrir au travailleur. Il est exact qu'elle a tenté d'exercer de la pression sur l'employeur en lançant quelques ultimatums. L'obligation d'accommodement n'a toutefois pas été prise en compte avant de conclure qu'il était impossible de déterminer un emploi convenable chez l'employeur. La CNESST devra déterminer s'il existe ou non un emploi convenable chez l'employeur, et ce, en tenant compte des nouvelles dispositions de la loi qui incorporent la notion d'«obligation d'accommodement». À la lumière de cette conclusion, la décision de la CNESST relative à la détermination d'un emploi convenable de livreur de petits colis ailleurs sur le marché du travail et à la capacité du travailleur à exercer cet emploi doit être annulée, car elle est prématurée.