Parties
Chamberland et CISSS de la Montérégie-Est
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Yamaska
Type d'action
Contestation par la travailleuse d'une décision relative à sa capacité à exercer son emploi. Contestation rejetée.
Décision de
Hugues Magnan, juge administratif
Date
6 mars 2023
En 2020, la travailleuse, une préposée aux bénéficiaires, a subi une lésion professionnelle, laquelle a été consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. La CNESST a déterminé que la travailleuse était capable d'exercer son emploi prélésionnel en date du 18 mars 2022. L'instance de révision a confirmé cette décision.
Décision
Le Tribunal doit évaluer la capacité de la travailleuse à exercer son emploi en fonction des limitations fonctionnelles suivantes: 1) «éviter les mouvements répétitifs du membre supérieur droit au-dessus de l'horizontal»; 2) «éviter les mouvements répétitifs en amplitudes extrêmes de l'épaule droite, rotation interne et externe d'amplitudes extrêmes, même à l'horizontale»; et 3) «éviter des transports de charge à bout de bras de manière répétitive ou fréquente avec le membre supérieur de plus de 5 livres à droite, 10 livres en bimanuel».
La travailleuse n'accomplit pas de mouvements répétitifs du membre supérieur droit au-dessus des épaules dans l'exercice de ses tâches de préposée aux bénéficiaires. Plusieurs des mouvements décrits comme étant problématiques par son ergothérapeute peuvent être effectués dans le respect de la limitation fonctionnelle ou avec le membre supérieur opposé. Sans une analyse de poste plus détaillée, qui comprendrait une visite des lieux et une prise de mesures, il est impossible de véritablement compter le nombre de mouvements accomplis au-dessus des épaules ou encore de définir avec justesse la période lors de laquelle la travailleuse se trouve dans cette position. Certes, le mouvement en question est effectué fréquemment dans le quotidien d'une préposée aux bénéficiaires. La décision du Tribunal aurait pu être différente si la limitation fonctionnelle retenue avait également inclus la notion de «fréquence». Cependant, la limitation fonctionnelle ne fait référence qu'à la notion de «répétitivité». Il s'agit d'un concept plus précis qui nécessite une preuve beaucoup plus détaillée.
En ce qui concerne la deuxième limitation fonctionnelle, les mouvements d'amplitudes extrêmes de l'épaule ne sont pas accomplis de façon répétitive dans les tâches d'une préposée aux bénéficiaires. L'opinion de l'ergothérapeute de la travailleuse en ce qui concerne le non-respect de la limitation fonctionnelle n'est pas prépondérante. La limitation fonctionnelle retenue n'interdit pas la fréquence, mais uniquement la répétitivité.
Quant à la troisième limitation fonctionnelle, le coeur du débat réside dans l'interprétation à donner au terme «transport de charges». Habituellement, les professionnels de la santé utilisent à cet effet l'échelle des limitations fonctionnelles de l'IRSST, qui détaille notamment la limitation de charges comme suit: «Éviter d'accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer des charges dépassant les [...]». Dans d'autres cas, il est plutôt indiqué «d'éviter de manipuler les charges de plus de [...]». Le terme «manipuler» fait référence aux actions de soulever, de porter, de pousser ou de tirer une charge. En l'espèce, si le professionnel de la santé qui a charge avait utilisé l'une ou l'autre de ces formulations pour décrire la limitation de charges, le Tribunal aurait conclu à une violation de celle-ci. En effet, dans le contexte de son emploi de préposée aux bénéficiaires, la travailleuse doit pousser ou tirer fréquemment les résidents lors de leur toilette matinale ou au moment du changement de couches, de l'habillement ou des douches. En revanche, l'expression utilisée par les 2 professionnels de la santé afin de décrire la limitation fonctionnelle est celle d'éviter le «transport de charges». Le Tribunal ne peut conclure que ceux-ci souhaitaient donner une portée plus large à cette expression afin d'y inclure la manipulation de charges ou encore le fait de soulever, de porter, de pousser ou de tirer un objet ou une personne. Si le professionnel de la santé qui a charge voulait inclure tous ces gestes à titre de restriction, il pouvait utiliser la limitation fonctionnelle habituelle prévue par l'IRSST. Quant au professionnel de la santé désigné par l'employeur, il ne s'est pas contenté de reprendre mot pour mot les limitations fonctionnelles suggérées par le professionnel de la santé qui a charge, car il a modifié certains termes. S'il était en désaccord avec l'expression «transport de charges», il avait également la possibilité de la changer. Si la travailleuse souhaitait démontrer que l'intention véritable du professionnel de la santé qui a charge était d'inclure dans la limitation fonctionnelle la restriction de la manipulation de charges ainsi que celle de soulever, de porter, de pousser ou de tirer un objet ou une personne, elle pouvait demander à celui-ci de préciser sa pensée dans une note écrite. En choisissant de ne pas faire cette démarche et de ne pas faire témoigner son ergothérapeute, la travailleuse a pris des décisions l'ayant empêchée de s'acquitter de son fardeau de preuve.
Une fois qu'il est déterminé que la notion de «transport de charges» s'interprète selon son sens usuel, la preuve démontre que la limitation fonctionnelle est respectée. Il n'y a potentiellement que 2 tâches qui impliquent le transport de charges de plus de 10 livres à bout de bras, lesquelles sont cependant occasionnelles. Même si la fréquence de ces transports de charges peut être légèrement supérieure certains jours, elle ne correspond pas à une activité ou à une tâche effectuée de façon répétitive ou fréquente au sens commun des termes.
Puisque l'emploi de préposée aux bénéficiaires ne contrevient pas aux limitations fonctionnelles, la travailleuse avait la capacité d'exercer son emploi en date du 18 mars 2022. Son droit à une indemnité de remplacement du revenu prenait fin le lendemain.