Parties
Grobe et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l'Île-de-Montréal - Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Contestation par la travailleuse d'une décision relative au diagnostic, au lien de causalité, à la consolidation, à l'atteinte permanente, aux limitations fonctionnelles, aux soins et à sa capacité à exercer son emploi. Contestation rejetée.
Décision de
Isabelle Gagnon, juge administrative
Date
16 février 2023
La travailleuse a subi une lésion professionnelle alors qu'elle était penchée et qu'elle a reçu sur le côté droit du front un ballon lancé par un enfant. Son dossier a été soumis au BEM, qui a retenu un diagnostic de contusion crânienne sans évidence de traumatisme cranio-cérébral (TCC), lequel a été consolidé le 7 juillet 2021 avec suffisance des soins, mais sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. La CNESST a rendu une décision en conséquence et s'est prononcée sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi
Décision
La travailleuse n'a pas subi de traumatisme cranio-cérébral léger (TCCL). Dans les Orientations ministérielles pour le traumatisme craniocérébral léger 2005-2010, et plus particulièrement dans la sous-section portant sur l'établissement du diagnostic, les auteurs écrivent qu'il y a 2 types de critères diagnostiques habituellement utilisés, soit «les critères rattachés au mécanisme de production de la blessure ou du traumatisme et les critères liés aux signes et aux symptômes présents chez l'individu dans les suites immédiates du traumatisme». Quant aux mécanismes de production de la blessure ou du traumatisme, ils en énumèrent 2, lesquels ne sont pas mutuellement exclusifs. Le premier est un mécanisme direct qui implique un impact à la tête, objectivé par la présence d'une ou de plaies à la tête ou au crâne; c'est une lésion par coup ou par contrecoup. Le second est un mécanisme indirect faisant en sorte que la lésion est secondaire à une force d'accélération ou de décélération. Cette lésion peut être accompagnée ou non d'une fracture ou encore d'une entorse cervicale. Selon les auteurs, «afin de poser, selon toute probabilité, un diagnostic de TCCL», il faut pouvoir confirmer la présence d'un indicateur d'un dommage direct ou indirect cohérent avec les circonstances de l'apparition de la blessure ou encore au moins 1 signe ou 1 symptôme parmi les critères diagnostiques mentionnés dans la définition du TCCL.
Le tableau no 2, figurant tant dans les orientations ministérielles que dans la mise à jour des connaissances sur le TCCL publiée par l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS), présente les 3 catégories de gravité du TCC, soit léger, modéré et grave. Selon la note au bas de ce tableau, bien que la perte de connaissance puisse être présente dans le cas d'un TCCL, elle est plutôt associée aux 2 autres catégories. Par ailleurs, une altération de l'état de conscience, aussi désignée par les termes «confusion», «désorientation» ou «obnubilation», concerne essentiellement les atteintes légères.
Dans le document de mise à jour, les auteurs mentionnent notamment que, en présence de valeurs normales aux autres indicateurs — à savoir, d'une part, l'absence de perte de conscience et d'amnésie post-traumatique et, d'autre part, des résultats sans anomalie à l'échelle de Glasgow, à l'imagerie cérébrale et à l'examen neurologique —, «le seul critère qui devient plus discriminant» est celui relatif à la période d'altération de l'état de conscience.
En l'espèce, en plus de l'absence de signes externes visibles à la tête, la preuve testimoniale, documentaire et médicale démontre de manière prépondérante que, simultanément ou concurremment à l'impact du ballon sur le front, la travailleuse n'a pas perdu connaissance, qu'elle n'a pas souffert d'amnésie et que son état de vigilance ou de conscience n'a pas été altéré. À la lumière de ce tableau clinique, et comme l'a exprimé le neurologue expert de la travailleuse dans son rapport et dans son témoignage, le diagnostic de TCCL ne peut être posé selon les critères diagnostiques des orientations ministérielles. Cela rejoint la conclusion du professionnel de la santé désigné par l'employeur et celle du BEM.
À l'audience, le neurologue expert de la travailleuse a modifié son opinion quant au diagnostic. Il a fait valoir que les critères énoncés dans les orientations ministérielles datent de plus de 20 ans et que plusieurs adhèrent à d'autres critères, notamment ceux tirés de la déclaration de consensus de Zurich. Dans certaines circonstances, un expert peut changer d'opinion. Toutefois, l'explication fournie par le neurologue expert de la travailleuse pose problème. Il ressort de sa réponse qu'il a pris connaissance en juin 2022, par l'entremise d'un conférencier, de la mise à jour de l'INESSS. Pourtant, au moment où il a rédigé son rapport, en 2022, cette mise à jour, publiée en mars 2018, existait déjà. Cela signifie que le neurologue expert de la travailleuse a fourni une opinion médicale sans s'assurer que ses connaissances étaient à jour. De plus, il n'a pas donné l'identité du conférencier en question ni n'a précisé son domaine de spécialité. En l'espèce, cela est très pertinent. Par ailleurs, au-delà du fait que cette mise à jour de l'INESSS n'a toujours pas été avalisée et que les critères relatifs au TCCL énoncés dans les orientations ministérielles demeurent, à ce jour, les seuls ayant été entérinés par le Collège des médecins du Québec, l'interprétation du neurologue expert de la travailleuse selon laquelle la manifestation de symptômes classiques d'un TCC dans les heures ou les jours qui suivent l'incident est suffisante pour diagnostiquer un TCCL reflète peu ou pas le contenu de cette mise à jour.
L'opinion du neurologue de la travailleuse ayant retenu le diagnostic de TCCL est également écartée. En outre, la relation causale entre le coup reçu à la tête et le groupe de symptômes qu'il invoque, dont les céphalées, la fatigue, les troubles de concentration et la photophobie, est «incorrecte et tendancieuse», car la preuve scientifique et la recherche ne démontrent pas un tel lien de cause à effet.
La mise à jour de l'INESSS demeure un document de travail en vue de la révision des orientations ministérielles, et cette révision n'a pas été réalisée à ce jour. De plus, il n'y a pas encore de consensus chez les chercheurs, les scientifiques et les professionnels de la santé à l'égard des définitions élaborées dans le milieu sportif. Le diagnostic de contusion crânienne sans évidence de TCC est retenu.
La céphalée chronique post-traumatique secondaire n'est pas un diagnostic en soi. Le neurologue expert de la travailleuse fait cavalier seul lorsqu'il retient distinctement ce diagnostic. Afin d'expliquer en quoi consiste une céphalée chronique post-traumatique secondaire, il cite un extrait de Cephalgia — The International Classification of Headache Disorders. Il ressort des critères diagnostiques relatifs à une céphalée chronique, ou persistante, post-traumatique secondaire ainsi que de la note no 1 qu'un TCCL doit être initialement présent. Or, le Tribunal a écarté le diagnostic de TCCL.Il n'existe pas de relation causale entre le nouveau diagnostic d'entorse cervicale et l'événement. S'il est vrai que la travailleuse a rapporté avoir mal au cou à l'ostéopathe consulté 2 jours après l'événement, cela n'établit pas pour autant un lien causal entre cette douleur et l'événement. De manière concomitante de celui-ci et par la suite, la travailleuse n'a pas mentionné un mouvement brutal de la tête vers l'avant, vers l'arrière ou sur les côtés. Par ailleurs, l'opinion du neurologue expert de la travailleuse est empreinte de discordances.
L'avis du BEM voulant que la lésion ait été consolidée le 7 juillet 2021 avec suffisance des soins est retenu. À cette date, même si la travailleuse avait «l'impression que sa mémoire [était] moins bonne qu'avant» et qu'elle se soit plainte «d'une certaine atteinte de sa mémoire», cela n'est pas objectivé. De plus, l'examen neurologique et de la colonne cervicale n'a pas révélé d'anomalie. Enfin, la travailleuse ne conserve pas d'atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles de sa contusion crânienne sans évidence de TCC. Elle avait la capacité d'exercer son emploi le 7 juillet 2021.