Parties
Annab et Société canadienne des postes
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Laval
Type d'action
Contestation par le travailleur d'une décision ayant déclaré qu'il n'avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation accueillie.
Décision de
Virginie Brisebois, juge administrative
Date
12 décembre 2022
Le travailleur, un superviseur aux opérations dans un centre de tri de lettres, a produit une réclamation pour une lésion psychologique qu'il attribuait à l'attitude de ses supérieurs à son égard depuis que sa réintégration avait été ordonnée à la suite d'une décision d'un arbitre de griefs. La CNESST a refusé sa réclamation.
Décision
Afin de déterminer si le travailleur a subi un accident du travail, le Tribunal est lié par le diagnostic de trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse ayant évolué vers une dépression. Pour conclure à la survenance d'un événement imprévu et soudain, l'événement n'a pas à être traumatisant. Il doit déborder le cadre normal de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail. Comme le soulignait le Tribunal dans Preure et Centre de services scolaire de Montréal (T.A.T., 2022-01-19), 2022 QCTAT 253, SOQUIJ AZ-51824233, 2022EXPT-724, paragraphe 22, «l'exigence de ce caractère objectivement traumatisant de l'événement ou des circonstances alléguées par le travailleur au soutien de sa réclamation dénature la notion d'événement imprévu et soudain et faire reposer sur les épaules du travailleur un fardeau de preuve plus élevé que la balance des probabilités». Le Tribunal rappelle qu'on ne doit pas utiliser des expressions plus exigeantes que celles retenues par le législateur. Il s'est également prononcé à cet égard dans Hénault et Institut de cardiologie de Montréal (T.A.T., 2022-11-18), 2022 QCTAT 5193, SOQUIJ AZ-51895630. Dans Charron et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal - Centre hospitalier de Verdun (T.A.T., 2022-10-14), 2022 QCTAT 4663, SOQUIJ AZ-51887280, 2022EXPT-2515, paragraphe 108, le Tribunal a rappelé qu'il est «périlleux de se référer à la notion de "traumatisme" afin d'apprécier les critères de l'article 2 de la Loi [Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles]». Il est plus approprié de parler d'événement particulier, anormal, inhabituel ou singulier pour décrire l'événement imprévu et soudain. Afin d'apprécier cette singularité, le Tribunal fait référence à certains éléments qui peuvent être pris en compte, dont la nature et la particularité du milieu de travail, un changement dans les comportements qui touchent le travailleur ou encore la modification ou l'élaboration de nouvelles exigences professionnelles, comportementales ou disciplinaires qui visent ce dernier.
En l'espèce, le cumul d'une série d'événements s'étant déroulés au cours d'une période relativement restreinte, soit en 2019 et au début de 2020, peut être assimilé à un événement imprévu et soudain. L'employeur, et plus spécifiquement un surintendant, a contribué à maintenir un climat de travail de nature à ostraciser le travailleur. Son comportement et la différence de traitement dont il a fait preuve à l'endroit du travailleur, lorsqu'ils sont pris en considération dans leur ensemble, sont significatifs et constituent un événement imprévu et soudain. Le sentiment du travailleur, qui croyait qu'on voulait se débarrasser de lui depuis sa réintégration à la suite de la décision de l'arbitre, ne relevait pas uniquement de sa perception. Même si, de l'avis de l'employeur, ce dernier présentait des lacunes en ce qui concerne certains aspects de son travail et qu'il relevait de ses droits de direction de mettre en place un plan de redressement du rendement, certains de ses agissements et des propos qu'il a tenus étaient vexatoires, voire discriminatoires, et débordaient le cadre normal du travail. L'employeur adoptait une conduite différente et inéquitable envers le travailleur, ce qui contribuait à maintenir un climat de méfiance de la part des employés à son égard et à le faire mal paraître.
La preuve révèle une relation temporelle entre les événements vécus au travail, lesquels ont culminé le 9 mars 2020 lors d'une rencontre avec le surintendant, et l'arrêt de travail survenu à la suite de la consultation du 11 mars suivant. Bien que les circonstances liées à cette rencontre ne soient pas claires puisque la preuve est contradictoire, il n'en demeure pas moins que c'est à ce moment que le «trop plein» du travailleur s'est manifesté. Il existe un lien entre l'événement imprévu et soudain et la maladie diagnostiquée chez le travailleur. Par conséquent, celui-ci a subi une lésion professionnelle.