Parties
Compagnie Wal-Mart Canada (commerce) et Perez
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Montérégie
Type d'action
Contestation par l'employeur d'une décision ayant déclaré que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle. Contestation rejetée. Contestation par l'employeur d'une décision relative à des questions d'ordre médical et au droit de la travailleuse à l'indemnité de remplacement du revenu (IRR). Contestation rejetée.
Décision de
Renaud Gauthier, juge administratif(s)
Date
13 janvier 2023
La travailleuse, une préposée à l'accueil dans un magasin à grande surface, a produit une réclamation pour un diagnostic de tendinite à l'épaule et d'épicondylite droites, qu'elle attribuait à ses nouvelles tâches impliquant la manipulation de paniers et de chariots. La CNESST a accepté sa réclamation. Cette décision a été confirmée à la suite d'une révision administrative. Le dossier de la travailleuse a été soumis au BEM, qui a retenu les diagnostics de syndrome d'accrochage associé à une bursopathie de l'épaule droite et d'épicondylite droite. Il a consolidé la lésion en date de son évaluation avec suffisance des soins et traitements, une atteinte permanente de 3 % et des limitations fonctionnelles. L'instance de révision de la CNESST a confirmé l'avis du BEM, sauf en ce qui concerne le diagnostic à l'épaule droite, et a déclaré que la travailleuse avait droit à l'IRR.
Décision
Afin de bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue à l'article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), la travailleuse doit démontrer qu'elle a subi une blessure qui est arrivée sur les lieux du travail alors qu'elle était à son travail. Le BEM a donné son avis au sujet de la pathologie à l'épaule droite sans droit puisqu'il n'avait pas été consulté à ce sujet. C'est donc avec raison que la CNESST a écarté cette partie de son avis et a retenu le diagnostic de tendinite de l'épaule droite posé par le médecin traitant. Le Tribunal retient donc ce dernier diagnostic. En fonction de la preuve médicale, il retient également le diagnostic d'épicondylite droite. Ces diagnostics sont qualifiés de mixtes par la jurisprudence. Or, les circonstances de l'apparition des pathologies font en sorte qu'elles ne correspondent pas à des blessures. En effet, la travailleuse convient que la douleur au membre supérieur droit s'est installée de façon graduelle sur une période de près de 3 mois. Elle ne peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle.
La travailleuse a démontré qu'elle avait subi un accident du travail au sens élargi. La modification substantielle de ses tâches, à partir de la mi-mars 2020, correspond à un événement imprévu et soudain. En raison de circonstances exceptionnelles, soit les mesures sanitaires découlant de la pandémie de la COVID-19, l'employeur lui a demandé d'effectuer de nouvelles tâches. Alors que son poste habituel de préposée à l'accueil est essentiellement sédentaire, la travailleuse a dû accomplir des tâches exigeantes physiquement à raison de plusieurs centaines de mouvements par quart de travail. La manipulation des chariots était difficile selon le témoignage non contredit de la travailleuse, laquelle devait les agripper avec force et les tirer en utilisant les membres supérieurs, ce qui sollicitait notamment les articulations des épaules, des coudes et des poignets. La modification des tâches s'explique par des circonstances inhabituelles qui sont survenues de façon soudaine et par une pénurie de personnel. Au surplus, la travailleuse a démontré, relevés de temps à l'appui, qu'elle avait travaillé davantage durant les semaines qui ont suivi la mise en place des mesures sanitaires.
Les prétentions de l'employeur au sujet de l'absence de relation entre les tâches effectuées par la travailleuse à partir de mars 2020 et les pathologies au bras droit ne sont pas retenues. En effet, l'expert de l'employeur appuie l'essentiel de son raisonnement sur l'absence d'une combinaison de facteurs de risque, lesquels incluraient la force, les mouvements répétitifs et les positions contraignantes. Toutefois, ces facteurs s'appliquent habituellement dans le cadre d'une réclamation pour maladie professionnelle et visent à évaluer l'existence de risques particuliers associés à certaines tâches usuelles. Le travailleur qui invoque la notion élargie d'«accident du travail» doit plutôt démontrer l'existence d'une situation inhabituelle qui implique une sollicitation significative du site lésionnel. Les facteurs de risque applicables en matière de maladie professionnelle se transposent difficilement à cette situation étant donné que des éléments comme la durée d'exposition diffèrent grandement.
La travailleuse a démontré une sollicitation significative des articulations du bras droit sur une période d'environ 3 mois, ce qui explique l'apparition des lésions. De façon répétée, elle utilisait les 2 bras pour pousser et tirer les chariots, ce qui implique une force importante. Elle empoignait également les chariots lors de chaque mouvement, ce qui sollicite les structures anatomiques du coude. Le Tribunal écarte le raisonnement de l'expert de l'employeur selon lequel les mouvements ne seraient effectués que toutes les 30 secondes, ce qui accorderait une période de récupération suffisante à la travailleuse. Il est exact que la travailleuse manipulait un nouveau chariot toutes les 30 secondes. Cependant, durant cette période, elle exécutait plusieurs mouvements qui sollicitaient directement l'épaule et le coude, soit pour tirer la rangée de chariots vers elle, sortir un chariot de la rangée, le nettoyer et le remettre au prochain client. La travailleuse réalisait donc, durant une courte période, plusieurs mouvements qui requéraient de forcer avec les membres supérieurs. Par ailleurs, sa condition a évolué favorablement, malgré la persistance de certaines douleurs et limitations qui la touchent dans sa vie quotidienne. L'évolution de son état ne suggère donc pas la présence d'une condition personnelle. D'autre part, l'atteinte de l'épaule droite a nécessité une attention plus particulière puisqu'il s'agit du principal site de douleur. Cela explique probablement pourquoi le premier rapport médical, en juin 2020, ne fait pas mention du coude droit. Par conséquent, la travailleuse a subi une lésion professionnelle.
La lésion était consolidée à la date retenue par le BEM, soit le 2 août 2021, avec suffisance des soins et traitements. La condition de la travailleuse a continué à évoluer de façon favorable après l'évaluation de l'expert de l'employeur, en avril 2021, et cette dernière a reçu une infiltration qui a entraîné un effet bénéfique. L'avis du BEM voulant que la travailleuse conserve une atteinte permanente de 3 % est également retenu. Ce dernier a recommandé un déficit de 2 % pour l'épaule, qui tient compte des signes cliniques d'accrochage, et de 1 % pour le coude, qui s'appuie sur les changements radiologiques objectivés en mars 2021. Quant aux limitations fonctionnelles, le BEM en recommande uniquement pour l'épaule droite. Le Tribunal constate que la travailleuse conserve des signes d'accrochage attribuables à la tendinite, ce qui justifie la reconnaissance de limitations fonctionnelles. De plus, cette dernière n'est plus en mesure d'accomplir certaines activités exigeantes pour l'articulation de l'épaule. L'employeur ne conteste pas la reconnaissance d'un préjudice esthétique de 1 % qui découle de l'infiltration au coude droit. Le BEM décrit la cicatrice comme étant vicieuse, et ce, pour une superficie totale de 2 centimètres carrés.
Étant donné que la travailleuse conserve une atteinte et des limitations fonctionnelles, elle avait droit à la réadaptation. De plus, en vertu de l'article 47 LATMP, un travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'IRR tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi. La CNESST a rendu une décision déclarant que la travailleuse était capable d'exercer son emploi à compter du 3 novembre 2021, ce qui a mis fin à son droit à l'IRR. Cette décision n'a pas été contestée. La travailleuse avait donc droit à l'IRR jusqu'à cette date.