Parties
Brasseur c. Contrans Vrac inc.
Juridiction
Cour supérieure (C.S.), Saint-Hyacinthe
Type d'action
Action en réclamation de dommages-intérêts pour rupture d'un contrat de travail. Accueillie en partie.
Décision de
Juge Jérôme Frappier
Date
21 juillet 2022
Après avoir fait suivre la demanderesse au moyen d'une filature, les défenderesses ont résilié le contrat de travail de celle-ci aux motifs qu'elle aurait travaillé pour une autre compagnie pendant son arrêt de travail pour cause de maladie et qu'elle aurait accompli des activités incompatibles avec l'état de santé déclaré au médecin qui était chargé de procéder à une expertise médicale. La demanderesse nie ces allégations, s'oppose à l'introduction en preuve d'un rapport de filature et soutient, entre autres choses, que son congédiement est abusif.
Décision
L'objection de la demanderesse est rejetée, les informations ayant été reçues de tiers par les défenderesses constituant des motifs sérieux et raisonnables de commander une filature. En outre, le fait que la majeure partie de ces informations ne soit pas avérée n'est pas pertinent. Quant au fond, il est inexact d'affirmer que la demanderesse travaillait pour une autre société. Une analyse sérieuse de la preuve recueillie lors de l'enquête aurait facilement permis d'en arriver à cette conclusion. La plupart des informations obtenues avant de décider de procéder à la filature de la demanderesse étaient inexactes. Le rapport de filature obtenu postérieurement au congédiement n'était pas non plus concluant. Il est vrai que la demanderesse a été vue devant un ordinateur dans une autre compagnie. Cependant, cette société est celle de sa mère et celle-ci s'y rendait ponctuellement pour lui rendre service. Or, les défenderesses n'ont jamais tenté d'éclaircir ces faits. Il est difficile de ne pas conclure que la décision de congédier la demanderesse était déjà prise et que les informations obtenues ont servi de prétexte pour agir sans avoir à enquêter. Ensuite, les activités que la demanderesse a accomplies n'étaient pas incompatibles avec son état. En effet, selon le rapport du médecin, celle-ci était en rémission et une assignation temporaire peu exigeante sur le plan de la concentration pouvait être envisagée. Les tâches qu'elle a effectuées au bénéfice de ses parents étaient compatibles avec sa symptomatologie et son état déclaré. Le contrat de travail a été résilié sans motif sérieux.
Quant à l'indemnité payable, le tribunal écarte les 3 mois prévus au contrat de travail pour y substituer un délai de congé d'une durée de 10 mois. Il est vrai que, au moment du congédiement, la demanderesse était relativement jeune (32 ans) et que ce facteur milite en faveur de l'attribution d'une indemnité moins importante à titre de délai de congé. Toutefois, elle a commencé à occuper ce poste au début de la vingtaine, a gravi les échelons et était directrice générale au moment de son congédiement. Si la demanderesse s'est rapidement trouvé un nouvel emploi, elle demeure, à ce jour, dans l'impossibilité de se trouver un poste raisonnablement comparable à celui qu'elle occupait en ce qui a trait à la nature des fonctions et aux conditions de rémunération. Ce facteur est déterminant. Il faut cependant déduire de l'indemnité les gains réalisés par la demanderesse postérieurement au délai de 3 mois prévu au contrat de travail.
Par ailleurs, les défenderesses ont abusé de leur droit. Cet abus résulte notamment du fait que le congédiement a été effectué avant l'obtention du rapport d'enquête et sans que les défenderesses aient obtenu la version de la demanderesse à la suite du rapport de filature disculpatoire, celles-ci lui ayant plutôt proposé de démissionner «pour éviter les conséquences négatives reliées à la fraude au niveau de l'assurance-emploi». Cette conduite justifie d'accorder la somme de 5 000 $ à titre de dommages non pécuniaires.