Parties
Unifor, section locale 177 c. Groupe CRH Canada inc.
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Lanaudière
Type d'action
Demande d'ordonnance provisoire — accueillie en partie.
Décision de
Pierre-Étienne Morand, juge administratif
Date
25 novembre 2021
Décision
Le syndicat reproche à l'employeur d'utiliser les services de salariés qu'il emploie dans l'établissement où le lock-out a été déclaré pour remplir les fonctions de salariés visés par les accréditations en vigueur — d'une part, l'employeur soutient qu'il s'agit de ses représentants, dont le travail est autorisé en vertu de l'article 109.1 a) du Code du travail (C.tr.) — d'autre part, il fait valoir que la prohibition édictée par l'article 109.1 g) C.tr. ne saurait trouver application lorsque les tâches sont effectuées en télétravail — l'analyse des tâches démontre que la plupart des employés mis en cause sont effectivement des représentants de l'employeur exclus de l'unité de négociation — quant à la question du télétravail, il est vrai que le travail prohibé par l'article 109.1 g) C.tr. est celui exécuté «dans l'établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré» — or, si le droit réagit souvent a posteriori, on doit lui reconnaître sa vocation à évoluer afin d'être en phase le plus possible avec la société et les réalités du monde du travail, d'où l'importance d'une approche contextuelle et dynamique de la notion d'«établissement» — ainsi, le déploiement à grande échelle du télétravail provoqué par l'état d'urgence sanitaire lié à la pandémie de la COVID-19 amène le Tribunal à s'interroger de nouveau sur le sens et la portée de la notion d'«établissement» — à cet égard, force est de reconnaître que cette notion doit s'entendre non seulement du lieu strictement physique où les salariés fournissent leur prestation de travail, mais aussi des lieux où cet «établissement» se déploie, même virtuellement, et d'où les salariés exécutent leur travail — en effet, l'«établissement» peut facilement s'étendre, grâce aux technologies de l'information, aux espaces privés où le salarié exécute son travail — ces technologies court-circuitées, «les portes des locaux de l'employeur auront été verrouillées», pour paraphraser la Cour d'appel dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1450 c. Journal de Québec (C.A., 2011-09-14), 2011 QCCA 1638, SOQUIJ AZ-50786539, 2011EXP-2911, 2011EXPT-1712, J.E. 2011-1632, D.T.E. 2011T-612 — le télétravail s'inscrit alors précisément dans le cadre de l'exploitation, par l'employeur, de son entreprise ou d'une partie de celle-ci, sous la même unité de gestion que s'il s'était exécuté à l'intérieur des «frontières traditionnelles» — de plus, l'«établissement déployé» s'arrime logiquement avec l'«établissement» qui est intrinsèquement lié à l'accréditation — ce concept d'«établissement déployé» s'harmonise aussi avec l'esprit des dispositions anti-briseurs de grève — en effet, permettre à l'employeur de les contourner au moyen du télétravail irait à l'encontre de l'intention du législateur et neutraliserait le droit de grève, élevé au rang de droit constitutionnel (Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan (C.S. Can., 2015-01-30), 2015 CSC 4, SOQUIJ AZ-51145293, 2015EXP-365, 2015EXPT-224, J.E. 2015-186, D.T.E. 2015T-88, [2015] 1 R.C.S. 245) — en l'espèce, le concept d'«établissement déployé» et l'analyse de la prestation de travail effectuée par l'employée visée permettent de conclure que l'employeur a contrevenu à l'article 109.1 g) C.tr.