Parties
Cie des chemins de fer nationaux du Canada et Ménard
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Salaberry
Type d'action
Contestation par l'employeur d'une décision ayant déclaré que le travailleur avait subi une lésion professionnelle. Contestation accueillie.
Décision de
Marie-Claude Poirier, juge administrative, et Dr Michel Rossignol, assesseur
Date
14 octobre 2021
De 1976 jusqu'à sa retraite, en 2006, le travailleur a occupé un emploi d'opérateur d'équipement lourd, et ce, principalement à titre de grutier. En 2018, il a produit une réclamation pour un diagnostic de surdité qu'il attribuait à son exposition au bruit dans son travail. L'instance de révision de la CNESST a accueilli sa réclamation.
Décision
Une atteinte auditive causée par le bruit est présumée constituer une maladie professionnelle lorsqu'il est démontré que le travailleur qui en est atteint exerce un travail comportant une exposition à un bruit excessif. En l'espèce, le Tribunal bénéficie du témoignage de l'expert de l'employeur afin d'expliquer de façon détaillée les principes à retenir lorsqu'il s'agit d'identifier une surdité causée par le bruit. Le témoignage de ce dernier sur cet aspect s'appuie en tout point sur l'article intitulé «Occupational Noise-induced Hearing Loss» de l'Americain College of Occupational and Environmental Medecine. Cet article fait notamment un résumé des connaissances médicales à jour en ce qui concerne les critères servant à reconnaître une atteinte auditive causée par le bruit. Ces balises rejoignent également les principes généralement énoncés dans la jurisprudence en ce qui a trait à l'analyse des lésions de surdité.
L'expert de l'employeur explique qu'une atteinte auditive causée par le bruit est de type neurosensoriel. Elle est typiquement bilatérale et symétrique. Contrairement à un traumatisme, le bruit ambiant touche normalement les 2 oreilles de manière égale, à moins que la preuve ne démontre que le bruit est régulièrement plus présent d'un côté par rapport à l'autre, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. L'atteinte par le bruit est également reconnaissable grâce à l'encoche de 3 000, 4 000 ou 6 000 Hz, avec une remontée à 8 000 Hz, qu'elle produit dans les basses fréquences, comme le démontre le graphique que le Tribunal reproduit dans son jugement. Cette encoche se distingue de la presbyacousie, laquelle présente plutôt un modèle de courbe en descente progressive sans remontée dans les 8 000 Hz, ce que démontre un autre graphique. L'expert de l'employeur explique que la courbe typique d'une atteinte auditive causée par le bruit peut être progressivement masquée par la presbyacousie, laquelle s'installe à partir de 40 ans à raison de 1 % par année en moyenne. Il fait valoir que, pour poser un bon diagnostic, il est souvent nécessaire de disposer de plusieurs examens audiométriques réalisés au cours de la vie d'une personne. Lorsqu'on ne dispose que de 1 seul examen effectué à l'âge de la retraite, et ce, alors que la personne ressent déjà les effets de sa perte auditive, il est souvent difficile de déterminer si elle a déjà souffert d'une surdité causée par le bruit ou s'il s'agit uniquement de presbyacousie.
xL'expert de l'employeur indique également qu'une atteinte auditive causée par le bruit se caractérise par une perte importante de l'audition dans les 5 premières années d'exposition au bruit et qu'elle se stabilise par la suite, après une période de 10 à 15 ans. Après 15 ans, la science démontre que la perte pouvant être occasionnée par le bruit a généralement atteint son maximum et que la détérioration cesse par la suite. Les données sont actuellement insuffisantes pour conclure que la perte auditive continue à progresser lorsque cesse l'exposition au bruit. Les données suggèrent également que l'exposition à des bruits de 80 à 85 décibels (dB) peut contribuer à une atteinte auditive. Le risque augmente avec la durée d'exposition au-dessus de 80 dB et de façon encore plus importante lorsque celle-ci dépasse 85 dB. Le risque de subir une atteinte auditive serait donc moins élevé lorsque le niveau d'exposition au bruit se situe en dessous de 80 dB. Les seuils peuvent toutefois varier d'une personne à l'autre.xxx
En l'espèce, l'expert de l'employeur indique que, s'il ne disposait que des résultats de l'audiogramme de 2018, il aurait été incapable d'affirmer si le travailleur avait souffert ou non, au cours de sa vie, d'une atteinte auditive causée par le bruit. Il est d'avis que l'audiogramme est typique d'une presbyacousie. La position de l'expert de l'employeur est conforme aux connaissances scientifiques sur la surdité. De plus, le fait que le médecin du travailleur et l'audiologiste n'expliquent pas les raisons pour lesquelles ils concluent à une atteinte auditive causée par le bruit nuit grandement à la force probante de leur opinion.
L'employeur dépose à l'audience plusieurs résultats d'audiogrammes effectués par le travailleur à partir de 1979. L'employeur faisait passer des audiogrammes à ses employés tous les 2 ans environ. L'expert de l'employeur explique qu'un examen audiométrique comporte une marge d'erreur pouvant aller jusqu'à 15 dB, laquelle est attribuable à l'aspect subjectif de l'examen. En effet, c'est le sujet de l'examen qui doit signaler s'il entend ou non le son qui est émis dans le casque d'écoute. Il peut donc arriver que le sujet, même involontairement, manque de précision quant aux réponses qu'il donne, ce qui explique la marge d'erreur. L'expert de l'employeur indique également qu'il est primordial que le sujet bénéficie d'une période de repos auditif avant d'effectuer l'examen. En effet, une oreille exposée au bruit avant l'examen pourrait donner une courbe ressemblant à celle d'une atteinte causée par le bruit. Il s'agit d'un état temporaire. À la lecture des audiogrammes du travailleur depuis 1979, l'expert de l'employeur affirme qu'il s'agit d'une audition normale jusqu'au 2 mai 2003. Il note une stabilité de la condition auditive au cours des années avec des valeurs qui se situent très près des valeurs normales, et ce, en tenant compte du fait que, lorsque les seuils varient entre 0 et 20, l'audition est considérée comme normale. L'expert ajoute que cette stabilité est tout à fait atypique d'une surdité professionnelle, dans le cas de laquelle on devrait s'attendre à une baisse importante de l'audition dans les 5 premières années et voir apparaître un plateau après 10 à 15 ans. Or, on ne remarque aucune détérioration auditive importante jusqu'au 2 mai 2003, soit 24 ans après le début de l'emploi. Par ailleurs, en 1988, le travailleur a atteint l'âge de 40 ans et les pertes très légères observées peuvent s'expliquer par la presbyacousie qui commence à s'installer. En ce qui concerne l'examen du 2 mai 2003, l'expert de l'employeur affirme qu'un événement majeur est nécessairement survenu puisque, depuis l'examen précédent ayant eu lieu 4 mois plus tôt, une perte d'audition importante survient. Le travailleur ne fournit aucune explication sur cette perte soudaine en raison de laquelle il a pourtant consulté un médecin et à la suite de laquelle il a commencé à porter un appareil auditif. Le travailleur n'a pas démontré être atteint d'une surdité causée par le bruit. Il n'y a pas lieu de s'intéresser à l'analyse des niveaux de bruit dans son environnement de travail puisque le premier critère pour établir une surdité professionnelle n'est pas rempli. Par ailleurs, en l'absence d'un autre événement survenu au travail pouvant expliquer la surdité, le Tribunal ne peut reconnaître qu'il s'agit d'une lésion professionnelle.