Parties
Desbiens et Groupe J.L. Leclerc inc.
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Chaudière-Appalaches
Type d'action
Contestation par le travailleur d'une décision relative à l'atteinte permanente, aux limitations fonctionnelles, à l'indemnité pour préjudice corporel, à sa capacité à exercer son emploi et à son droit à l'indemnité de remplacement du revenu (IRR). Contestation rejetée.
Décision de
Julie Samson, juge administrative
Date
20 août 2021
Le 15 novembre 2016, le travailleur a subi un accident du travail alors qu'il s'est tordu le pied droit en marchant dans un trou sur le plancher de béton de l'usine. Les diagnostics d'entorse de la cheville ainsi que de syndrome douloureux régional complexe (SDRC) au membre inférieur droit ont été reconnus à titre de lésion professionnelle. Le médecin désigné par la CNESST a conclu que la lésion était consolidée le 25 novembre 2019, avec une atteinte permanente évaluée à 5 %, soit 3 % pour une ankylose incomplète tibio-tarsienne de la cheville droite et 2 % pour une atteinte des tissus mous avec des séquelles fonctionnelles pour le diagnostic de SDRC. Le médecin qui a charge s'est dit d'accord avec l'ensemble de ces conclusions, sauf en ce qui qui concerne les limitations fonctionnelles. Le dossier a été soumis au BEM, qui a confirmé l'opinion du médecin désigné sur cette question. Par la suite, la CNESST s'est prononcée sur le pourcentage d'atteinte permanente retenu ainsi que sur le montant de l'indemnité pour préjudice corporel et, dans une autre décision faisant suite à l'avis du BEM, elle s'est prononcée sur la question des limitations fonctionnelles et a ajouté que le travailleur avait droit à la poursuite du versement de l'IRR jusqu'à ce qu'elle statue sur sa capacité de travail. L'instance de révision a confirmé ces 2 décisions.
Décision
En ce qui a trait au pourcentage d'atteinte permanente accordé à l'égard du SDRC du membre inférieur droit, il y a lieu de déterminer s'il est conforme au Règlement sur le barème des dommages corporels. Le Tribunal étant lié par la conclusion du médecin qui a charge, son pouvoir se limite en l'espèce à examiner s'il y a eu une erreur d'interprétation ou d'application du barème. Selon le travailleur, le pourcentage de 2 % accordé par analogie pour le diagnostic de SDRC ne tient pas compte de ses douleurs chroniques invalidantes, des conséquences psychologiques et de l'effet sur son système nerveux central. En raison de la nature même du diagnostic de SDRC, ce dernier peut entraîner des atteintes à différents systèmes et rendre possible différentes analogies dans l'évaluation des séquelles. Toutefois, la preuve médicale ne démontre pas de séquelles objectivées comme celles décrites au chapitre du système nerveux central ou du système psychique. Bien qu'il soit question d'état de stress, d'anxiété ou de difficultés à faire face au stress dans les rapports produits par la clinique de la douleur et l'équipe multidisciplinaire du centre de réadaptation, le Tribunal ne bénéficie d'aucune évaluation psychiatrique qui permette d'établir que les difficultés alléguées résultent probablement du SDRC. En l'absence de séquelles médicalement objectivées pouvant permettre l'attribution d'un pourcentage correspondant à des préjudices du même genre que ceux décrits au barème, la jurisprudence a reconnu à maintes reprises que les séquelles permanentes d'un SDRC devaient être évaluées, par analogie, selon la rubrique de l'atteinte des tissus mous du membre touché. Le législateur n'a pas prévu de rubrique pour indemniser directement un syndrome douloureux, ayant plutôt choisi d'attribuer un pourcentage pour des douleurs et une perte de jouissance de la vie. Par conséquent, il y a lieu de confirmer le pourcentage d'atteinte permanente retenu, auquel il faut ajouter 0,75 % pour des douleurs et une perte de jouissance de la vie.
Quant à la détermination des limitations fonctionnelles, le travailleur ne conteste pas l'existence de celles retenues par le BEM, mais soutient qu'elles ne concernent que le volet physique de la lésion, alors que le SDRC implique également des symptômes de nature psychologique. Le Tribunal ne peut retenir, comme le voudrait le travailleur, une limitation restreignant l'exposition à un stress de productivité, en raison de l'absence de preuve d'une atteinte à une fonction psychique ou cognitive en lien avec le SDRC. Énoncer une telle limitation semble non seulement difficile à appliquer, mais également sujet à plusieurs interprétations. Quant à la possibilité d'insérer une réduction du temps de travail dans une limitation fonctionnelle, il existe 2 courants jurisprudentiels sur la question. Selon le premier courant, une limite temporelle peut constituer une limitation fonctionnelle, si elle est justifiée par une preuve médicale prépondérante en fonction des conséquences de la lésion professionnelle reconnue, et ce, qu'il s'agisse d'une lésion physique ou psychique. Quant au second courant, il conclut que le nombre d'heures pendant lesquelles un travailleur peut exercer un emploi relève de l'analyse de sa capacité à exercer celui-ci et non de la détermination de ses limitations fonctionnelles, qui se rapporte plutôt à un mouvement ou à une activité précise qu'il ne peut accomplir ou à une position qu'il ne peut adopter. Le Tribunal adhère à ce dernier courant. Il ne peut donc retenir une limitation fonctionnelle stipulant que le travailleur devrait limiter son temps de travail de 26 à 30 heures par semaine.