Parties
Leclair et École de conduite Tecnic Rive-Sud
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Salaberry
Type d'action
Contestation par la travailleuse d'une décision ayant déclaré qu'elle n'avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation accueillie.
Décision de
Josée Picard, juge administrative, et Dre Johanne Allard, assesseure
Date
9 juin 2021
La travailleuse, une monitrice de conduite automobile, a produit une réclamation pour un diagnostic de dépression majeure qu'elle attribuait au fait d'avoir été victime de dénigrement et d'insultes de la part d'un collègue et d'une menace à son intégrité physique le 27 février 2017. La CNESST a refusé sa réclamation. L'instance de révision a confirmé cette décision.
Décision
La travailleuse doit démontrer qu'elle a subi un accident du travail. Dans un premier temps, elle prétend que son collègue a passé des commentaires dénigrants et insultants à son sujet, ciblant principalement son poids et son apparence. Ces propos ont été tenus auprès de collègues ou d'élèves de l'école qui lui ont rapporté les paroles. Le collègue nie catégoriquement avoir tenu les propos dénigrants reprochés, à l'exception d'un seul. Devant une preuve contradictoire, l'évaluation de la crédibilité de chacun des acteurs principaux prend toute son importance. Or, la crédibilité de chacun d'eux n'a pas été entachée suffisamment pour écarter l'une ou l'autre des versions offertes. La corroboration des versions offertes, bien qu'elle ne soit pas obligatoire, devient donc hautement pertinente lorsqu'elle est disponible et peut éclairer le Tribunal dans son analyse. En l'absence du témoignage des personnes ayant entendu de la bouche du collègue les propos qu'on lui reproche, le Tribunal ne peut que constater que l'une des versions qui s'opposent, soit celle de la travailleuse, ne correspond qu'à du ouï-dire. Dès lors, elle ne saurait être retenue au profit de celle présentée par le collègue. La travailleuse n'a donc pas établi que son collègue avait tenu des propos insultants et dénigrants à son endroit. Par ailleurs, le collègue a admis avoir émis un commentaire selon lequel la voiture de la travailleuse penche d'un côté lorsqu'elle est au volant. Cette remarque blessante, à elle seule, ne saurait correspondre à un événement imprévu et soudain. En effet, ce commentaire déplacé ne revêt pas un caractère objectivement traumatisant à la lumière des enseignements de la jurisprudence. Au surplus, la remarque du collègue a été rapportée à la travailleuse par un tiers.
La travailleuse allègue également avoir été victime d'une menace à son intégrité physique le part du même collègue le 27 février 2017. Le 9 février précédent, un grief collectif contre cette personne avait été signé par 3 employés, dont la travailleuse. La preuve n'est pas claire relativement à la qualification de l'absence du collègue pendant 7 jours à la suite d'une rencontre avec l'employeur à cet égard. Le 27 février 2017, durant l'heure du dîner, la travailleuse fumait une cigarette à l'extérieur des bureaux. En entendant quelqu'un s'adresser à elle, elle s'est retournée et a constaté que son collègue, de retour au travail, était physiquement près d'elle et pointait son doigt à une courte distance de son visage. Le collègue nie avoir tenu les propos rapportés par la travailleuse et s'être approché d'elle avec un geste menaçant. Devant cette preuve contradictoire, et à défaut de témoins de cet échange permettant de confirmer de façon tangible sa survenance, le Tribunal doit tenter de trouver une certaine corroboration de l'une ou l'autre des versions dans la preuve documentaire. Plusieurs écrits confirment en grande partie les propos rapportés par la travailleuse lors de l'audience ou, à tout le moins, la survenance d'un événement le 27 février 2017 au cours duquel la travailleuse s'était sentie menacée par son collègue. L'employeur prétend que les termes rapportés par la police dans son rapport d'événement, soit «tu n'as pas fini avec moi», ne sont pas les mêmes que ceux rapportés à l'audience, soit «je vais t'achever». À son avis, les premiers peuvent correspondre à des propos normaux dans un contexte de travail. L'employeur souligne également que le policier a conclu à une «guerre de coqs» entre 2 collègues. Le Tribunal n'est pas de cet avis. Compte tenu du contexte, soit un climat de travail malsain, d'une absence du travail du collègue, imposée ou suggérée par l'employeur, qui découle d'un rapport de grief collectif signé notamment par la travailleuse, et de ce tout premier contact après le retour au travail du collègue, il est plus juste de considérer les termes «tu n'as pas fini avec moi» comme un commentaire menaçant plutôt qu'un simple avertissement en lien avec des procédures administratives reliées à l'attribution des heures de travail. Quant à l'opinion du policier, elle ne lie pas le Tribunal.
L'employeur invite le Tribunal à ne pas accorder une grande force probante au courriel du 28 février 2017, lequel dénonçait la menace qui avait été proférée la veille, puisqu'il a été rédigé par la travailleuse. Un principe dégagé par la jurisprudence établit que, en présence d'un témoignage qui est contraire à celui rendu par un autre témoin, le Tribunal devrait privilégier le témoignage de la personne qui n'a aucun intérêt dans le litige. En l'espèce, autant la travailleuse que le collègue ont un intérêt dans le litige. Alors que la première a un intérêt notamment financier, si sa réclamation est acceptée, la réputation du collègue est remise en cause. Par ailleurs, la déclaration écrite de la travailleuse est concomitante de la survenance de l'incident. Même si un témoin présentant un intérêt quant au litige pourrait être porté à modifier les faits en sa faveur ou les bonifier lors de son témoignage devant le Tribunal afin d'augmenter ses chances de succès, les possibilités que ce raisonnement sous-tende la rédaction du courriel sont minces. À ce moment, aucun diagnostic n'avait été posé et aucune réclamation n'avait été transmise à la CNESST. Par ailleurs, le document s'apparente aux déclarations des travailleurs contenues dans des registres d'accidents du travail dans les cas de lésions physiques. Celles-ci, souvent prises en considération par le Tribunal aux fins de décider de l'admissibilité d'une réclamation, sont rarement écartées pour la seule raison qu'elles proviennent de la personne qui réclame une indemnité de remplacement de revenu à la CNESST. Compte tenu du nombre de déclarations et de descriptions de l'événement du 27 février 2017 sensiblement identiques dans les jours et les semaines qui ont suivi, les propos et le geste du collègue ont été prouvés de façon prépondérante. La menace présente un caractère suffisamment traumatisant objectivement pour être reconnue comme un événement imprévu et soudain.
Le lien de causalité entre l'événement et le diagnostic de dépression majeure a été démontré. La menace à l'intégrité physique de la travailleuse n'est pas le seul élément identifié comme agent causal. La question du harcèlement et du dénigrement, qui s'est révélée non prouvée de façon prépondérante, l'est également. Le Tribunal doit donc évaluer dans quelle mesure le harcèlement et le dénigrement invoqués ainsi que la menace ont contribué à la survenance de la dépression. Il ressort de la preuve que la menace a joué un rôle prépondérant. Même si le Tribunal tenait pour avérés les propos dénigrants allégués par la travailleuse, ceux-ci ne sauraient constituer l'élément causal prépondérant dans la maladie puisqu'ils sont peu nombreux, n'ont pas été verbalisés directement à la travailleuse et se sont étalés sur quelques années, réduisant la possibilité qu'ils aient pu causer une dépression majeure. Par ailleurs, l'existence de certains symptômes dépressifs avant le 27 février 2017, en lien avec un contexte de travail difficile, ne fait pas échec à la réclamation. Ceux-ci ne sont pas détaillés dans le dossier ou à l'audience. De plus, avant le 4 mars 2017, aucun médecin n'avait posé un diagnostic de dépression. La décision de cesser de travailler et de consulter un médecin fait suite à la menace du collègue. Aussi, il y a absence d'antécédents psychologiques chez la travailleuse. Par ailleurs, l'événement imprévu et soudain est survenu «à l'occasion du travail» puisqu'il y a un lien de connexité «plus ou moins direct entre l'événement et le travail» (Borduas et Air Canada (T.A.T., 2017-02-24), 2017 QCTAT 1019, SOQUIJ AZ-51370566, 2017EXPT-559, paragr. 21). Par conséquent, la travailleuse a subi une lésion professionnelle.