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Dommages moraux pour atteinte à la dignité, à l'honneur et à la réputation

La conduite de l'employeur à l'occasion du congédiement ainsi que la façon avec laquelle il a traité le dossier du plaignant après le prononcé de la sentence arbitrale ont porté atteinte à la dignité, à l'honneur et à la réputation de ce dernier; des dommages moraux sont accordés (65 000 $).
2 mars 2021

Parties : Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et CIUSSS du Centre‐Sud‐de‐l'Île‐de Montréal (Centre jeunesse de Montréal‐IU) (Jocelyn Martin)

Juridiction :  Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action :  Fixation d’une indemnité

Décision de : Me Jean Ménard, arbitre

Date :  12 janvier 2021

Le Tribunal a annulé la suspension de 1 mois et le congédiement imposés au plaignant, un éducateur dans un centre jeunesse. Les parties ne s'entendent pas sur les sommes à verser en application de cette sentence arbitrale. L'employeur prétend qu'il a payé tout ce qu'il devait au plaignant. Le syndicat soutient qu'il subsiste un important manque à gagner. Il réclame des dommages‐intérêts majorés de l'indemnité additionnelle ainsi que des dommages moraux. L'employeur allègue que le Tribunal n'a pas compétence à l'égard de telles réclamations. Il invoque la règle du functus officio.

Décision

Le syndicat s'est acquitté de son fardeau d'établir les sommes qu'aurait dû recevoir le plaignant, après la déduction des gains réalisés à titre de commis. La perte salariale du plaignant s'élève à 196 184 $. L'employeur, qui lui a versé 150 012 $, n'a pas démontré que sa méthode de calcul correspond à une pratique comptable généralement reconnue. Il lui est ordonné de payer une indemnité brute de 46 171 $ et de justifier clairement les déductions qu'il fera sur celle‐ci. Cette reddition de comptes devra comporter les informations normalement prévues sur un bulletin de paie. L'employeur doit payer les intérêts et l'indemnité additionnelle accumulés sur les montants bruts, et ce, pour chaque période de paie postérieure à la date du dépôt du grief.

Le libellé des griefs comportait une réclamation pour des dommages moraux. Dans sa première décision, le Tribunal ne s'est pas prononcé sur ces demandes ni sur aucune autre conclusion de nature pécuniaire; il a réservé sa compétence relativement au quantum. La loi permet à un arbitre de fixer, à la demande d'une partie, la somme due en vertu d'une décision qu'il a rendue. La clause 11.23 de la convention collective est au même effet. Prétendre que l'arbitre aurait perdu sa compétence pour se prononcer sur les droits du plaignant au seul motif qu'il aurait mal libellé le dispositif de sa sentence arbitrale quant à la réserve de compétence est une application trop stricte de la règle du functus officio. Celle‐ci n'empêche pas l'arbitre de se prononcer sur le droit du plaignant de réclamer une compensation pour le préjudice moral qu'il aurait subi.

L'employeur a fait preuve d'un écart marqué par rapport aux règles de base généralement reconnues en matière disciplinaire. Il a commis une série d'erreurs et a fait preuve de négligence dans le traitement du dossier. Il a transmis une lettre de suspension de 4 pages à un employé déjà fragile, lui reprochant une foule de comportements disparates et traçant un portrait dévastateur de sa compétence professionnelle alors qu'aucun gestionnaire ne l'avait rencontré auparavant pour en discuter. Il n'a pas respecté le principe de la progression des sanctions. Il a congédié le plaignant sans mener une enquête sérieuse. L'employeur a engagé sa responsabilité contractuelle pour le préjudice moral qu'il a causé au plaignant. Celui‐ci est certainement une «personne salariée injustement traitée», au sens de la clause 11.18 de la convention, ce qui autorise l'arbitre à déterminer les dommages‐intérêts. Le plaignant a ressenti un profond sentiment d'humiliation à la suite de l'avis de suspension. Il a vécu cet événement comme une attaque brutale contre sa compétence et ses capacités en lien avec la carrière qu'il avait choisie et qu'il exerçait depuis plus de 10 ans. Il a vécu une nouvelle humiliation après son congédiement. Tous les efforts qu'il avait consacrés pour accomplir son désir de faire carrière auprès des jeunes ont été réduits à néant. Le congédiement a entraîné chez le plaignant une perte importante de son estime de soi, de l'insomnie et de graves troubles de l'humeur. Ce dernier a eu beaucoup de difficulté à trouver du travail, et il a fini par accepter un poste de commis dans une épicerie. Sa perte d'emploi a engendré des difficultés financières importantes, et sa maison a été saisie. Son retour au travail s'est fait sans accueil ni accompagnement. La façon dont l'employeur a traité son dossier après la sentence arbitrale a mis sa situation financière en péril. La conduite de l'employeur a porté atteinte à la dignité, à l'honneur et à la réputation du plaignant. La somme réclamée (65 000 $) à titre de dommages moraux paraît conforme à la jurisprudence applicable, compte tenu du préjudice moral subi par le plaignant