Dans ce dernier chapitre, nous expliquons très brièvement les principes théoriques applicables concernant la contestation de l’imposition d’une sanction disciplinaire. Toutefois, il demeure important de bien connaître et de vérifier les paramètres imposés par la convention collective applicables en cette matière, plus particulièrement les règles internes relatives à l’obligation d’aviser le salarié, de transmettre les motifs de la sanction et parfois les faits en lien avec le manquement, d’être convoqué en discipline, etc.
14.1 Quelle est la compétence du tribunal d’arbitrage ?
Il a compétence pour entendre tout grief, c’est-à-dire toute mésentente relative à l’interprétation ou à l’application d’une convention collective, ce qui comprend les questions en lien avec l’application des mesures disciplinaires et non disciplinaires.
De plus, mentionnons que le tribunal d’arbitrage a compétence en matière de :
- dommages moraux;
- dommages exemplaires pour atteinte à la personne et à l’intégrité en vertu de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne;
- dommages et intérêts à la suite d’une rétrogradation;
- formation du contrat de travail;
- validité d’une démission;
- etc.
14.2 Quels sont les pouvoirs du tribunal d’arbitrage ?
Conformément aux pouvoirs en matière disciplinaire, le tribunal d’arbitrage peut réviser au fond la mesure disciplinaire imposée et substituer son jugement à celui de l’employeur pour modifier la sanction. Il lui revient dans tous les cas de notamment déterminer si la sanction est juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances d’une affaire. Il a le pouvoir de modifier un congédiement en une autre mesure s’il considère que :
- la sanction est disproportionnée par rapport à la nature de la faute;
- la gradation des sanctions s’appliquait;
- les facteurs aggravants et les facteurs atténuants s’appliquent, etc.
Pour les pouvoirs en matière non disciplinaire, mentionnons que toutes les mesures imposées par l’employeur, disciplinaires ou non, peuvent être révisées par l’arbitre de griefs. Cependant, dans ce cas, le décideur n’a pas à apprécier la justesse, l’opportunité ou le bien-fondé de la décision de l’employeur; toutefois, s’il décèle dans cette décision un prétexte, il peut intervenir, de même si la décision est déraisonnable, abusive, discriminatoire, arbitraire ou dictée par la mauvaise foi.
Dans le cas de la sanction déjà prévue à la convention collective, le tribunal d’arbitrage ne peut que confirmer ou annuler la décision de l’employeur ou, le cas échéant, la modifier pour la rendre conforme à la sanction déterminée.
Dans le cas de l’entente individuelle, il faut comprendre que dans le processus disciplinaire, il peut arriver que l’employeur décide parfois d’accorder à un salarié une dernière chance. Généralement, les pouvoirs de l’arbitre sont limités à ce que les parties ont prévu.
14.3 Quel est le mandat du tribunal ?
Le mandat du tribunal d’arbitrage est de contrôler l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur en s’assurant :
- que l’infraction, ou la faute, reprochée a été réellement commise;
- que, le cas échéant, la sanction imposée est juste et raisonnable en regard du comportement du salarié.
14.4 Quels sont les recours du salarié ?
Salarié syndiqué
Pour les salariés syndiqués, les mesures disciplinaires peuvent être contestées par voie de grief uniquement. Il ne peut y avoir de recours devant d’autres instances lorsque l’essence du litige découle de l’application ou de l’interprétation de la convention collective. L’arbitre de griefs dispose d’un large pouvoir d’appréciation qui lui est dévolu de par la loi et par les précédents. L’arbitre de griefs a également un pouvoir de réparation très important, et ce, de la façon suivante :
- il peut confirmer, modifier ou annuler la décision de l’employeur;
- il ne peut cependant pas modifier la sanction pour augmenter la sévérité de celle-ci;
- il peut accorder des dommages-intérêts;
- il peut accorder des dommages moraux, exemplaires, etc.
Dans certains cas particuliers, les salariés syndiqués disposent d’autres recours qu’ils peuvent, à leur choix, utiliser et dans certains cas particuliers, le cumul de deux recours est possible, par exemple :
- une plainte en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (sanction faisant suite à l’exercice d’un droit prévu par cette Loi) : le salarié doit faire une option qui est obligatoire;
- une plainte en vertu de l’article 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (sanction faisant suite à l’exercice d’un droit prévu par cette Loi) : le salarié doit faire une option qui est obligatoire;
- une plainte en vertu de l’article 15 du Code du travail (sanction à cause de l’exercice d’un droit prévu par le Code du travail) : le cumul est possible;
- une plainte en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne : le cumul est possible;
- la prescription de chacun de ces recours est différente.
Salarié non syndiqué
Pour les salariés non syndiqués, selon la situation et le motif de sanction, ils peuvent contester leur congédiement de différentes façons, en déposant une plainte en vertu de la Loi sur les normes du travail. Tout comme l’arbitre de griefs, le Tribunal administratif du travail dispose d’un large pouvoir d’appréciation.
Dans les faits, le Tribunal dispose également d’un large pouvoir de réparation en pouvant ordonner la réintégration et en ordonnant l’octroi de dommages-intérêts, etc. Les salariés non syndiqués disposent aussi, dans certaines circonstances, des recours mentionnés dans le cas des salariés syndiqués. Enfin, le salarié syndiqué peut s’adresser aux tribunaux de droit commun pour poursuivre en dommages-intérêts, lorsque le cas s’y prête.
14.5 Dans quel cas le salarié peut-il déposer une plainte en vertu de la Loi sur les normes du travail ? Est-ce en cas de congédiement ou en cas de licenciement ?
Le salarié ne peut déposer ce recours qu’en cas de congédiement. Il n’est pas ouvert en cas de licenciement. Lorsque la mesure imposée par l’employeur est de nature administrative, tel un licenciement pour un motif économique ou à cause d’une réorganisation de l’entreprise, le rôle du juge se limite à vérifier la rigueur du processus suivi. Ainsi, à moins qu’il ne s’agisse d’une mesure disciplinaire camouflée en mesure administrative, le juge ne peut que maintenir ou annuler la décision, après avoir vérifié qu’elle n’est ni arbitraire, ni discriminatoire, ni déraisonnable.
14.6 Quel est le fardeau de la preuve, à qui appartient-il ?
En matière disciplinaire, le fardeau de la preuve incombe toujours à l’employeur. Les conventions collectives le prévoient normalement, et même en l’absence d’un tel texte, habituellement, l’employeur assumera le fardeau de la preuve. Les lois mentionnées précédemment prévoient souvent des règles qui opèrent un transfert du fardeau de la preuve vers l’employeur. Elles peuvent aussi prévoir des présomptions.
La question du fardeau de preuve doit se comprendre ainsi : le fardeau de démontrer que la sanction disciplinaire ou le congédiement est fondé sur une cause juste et suffisante repose sur les épaules de l’employeur. Si une telle démonstration est faite selon le degré de preuve requis, le syndicat ou le plaignant a alors le fardeau de contredire ou d’affaiblir la preuve patronale, par exemple, en démontrant que les actes reprochés n’ont pas été commis par le salarié ou qu’il existe des circonstances atténuantes.
Dans tous les cas, l’employeur doit établir selon la prépondérance de la preuve que la sanction ou le congédiement est fondé sur une cause juste et suffisante. Si le syndicat ou le salarié plaignant prétend que la sanction ou la décision de mettre fin à l’emploi est abusive, discriminatoire, déraisonnable ou contraire aux exigences de la bonne foi, il lui revient de le prouver.
14.7 Quel est le degré de preuve requis ?
Disons qu’il existe une certaine variété dans la terminologie utilisée lorsque vient le temps de parler du degré de preuve requis en matière disciplinaire. Toutefois, il est courant d’affirmer que l’employeur doit démontrer le bien-fondé de sa décision selon la prépondérance des probabilités. Il appert que le degré de preuve requis en matière de congédiement disciplinaire doit dépasser la simple prépondérance; l’employeur doit démontrer d’une manière sérieuse et convaincante les faits allégués.
Certains arbitres de griefs soutiennent toutefois que dans les cas de fautes à connotation criminelle, la preuve doit être particulièrement convaincante. Il n’y a pas obligation de faire une preuve hors de tout doute raisonnable. Le fardeau de preuve de l’employeur demeure le même, et ce, même si la cause alléguée de congédiement peut constituer une infraction pénale ou criminelle. Ainsi, lorsque le geste reproché est de nature pénale, il n’est pas nécessaire de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable; il faut une preuve particulièrement convaincante.
Lorsque les motifs invoqués par l’employeur revêtent un caractère criminel, l’évaluation de la preuve soumise doit tout de même se faire selon la règle civile de la prépondérance. Par exemple, l’employeur doit établir que l’employé est, en toute probabilité, responsable de la perte ou de la disparition du bien. La preuve d’une simple possibilité ne suffit pas. Dans les cas de vol ou de fraude, l’employeur doit faire une enquête sérieuse et complète sur les événements avant de blâmer l’employé.
Celui-ci devrait toujours avoir l’occasion de relater sa version et d’être confronté aux manquements qu’on lui reproche. Autrement dit, en fonction de la gravité des allégations, la preuve de l’employeur doit être particulièrement convaincante. Des circonstances graves, précises et concordantes doivent tendre à démontrer que la seule conclusion logique et probable des faits mis en preuve est que le plaignant s’est approprié le bien manquant.
Donc, en somme, un employeur n’a pas à offrir une preuve hors de tout doute raisonnable que le salarié s’est rendu coupable d’une quelconque infraction à une loi. Il doit plutôt convaincre, par prépondérance de preuve, de l’existence des faits reprochés au salarié et de ce qu’ils constituent une cause juste et suffisante de sanction ou de congédiement. Mais l’employeur ne peut pas se baser sur une perception subjective de culpabilité, même s’il n’est pas satisfait des explications fournies par le salarié. Il doit aller plus loin et démontrer la faute. Il doit s’acquitter de son fardeau de preuve en cette matière, non pas en faisant une preuve hors de tout doute raisonnable, mais en faisant une preuve par présomption de fait.
14.8 Quels sont les autres éléments à considérer concernant l’administration de la preuve en arbitrage ?
Dans le cadre d’un arbitrage de griefs en vertu d’une convention collective, il faut tenir compte, notamment, des divers éléments suivants :
- les conditions particulières de recevabilité suivant les règles de droit;
- les documents admissibles ou non;
- les éléments matériels (photos, vidéos, etc.);
- les faits antérieurs;
- les faits postérieurs;
- les moyens de preuve;
- la preuve extrinsèque;
- les témoignages admissibles;
- etc.
14.9 Quel est le rôle des cadres gestionnaires lors d’une contestation ?
Les cadres ont un rôle important à jouer lors de la contestation d’une décision de l’employeur. Ce sont eux en définitive qui doivent démontrer l’existence des faits et des circonstances entourant la survenance des faits, la teneur des rencontres disciplinaires, du contenu de l’enquête menée et quant à l’imposition des d’éléments de fait permettant à l’arbitre de déterminer si la décision prise par l’employeur est la bonne compte tenu de toutes les circonstances. Autrement dit, les cadres sont les yeux et les oreilles de l’employeur et il leur revient de démontrer que la sanction est juste et suffisante en fonction des faits.
Pour ce faire, les cadres concernés doivent avoir une bonne connaissance du dossier, qui doit être bien documenté, car les renseignements qu’ils ont recueillis servent à bien structurer le dossier et à le défendre devant le décideur. Les gestionnaires doivent posséder des attributs incontournables; ils doivent entre autres être loyaux envers la direction et solidaires de celle-ci en tout temps.
14.10 Quelles sont les règles relatives au témoignage devant le tribunal ?
Il coule de source que le témoignage du cadre gestionnaire est souvent fondamental afin d’obtenir gain de cause devant le tribunal. Il doit répondre aux questions avec sérieux, honnêteté, sincérité et sans agressivité. Plusieurs éléments donnent de la crédibilité au témoignage d’une personne.
Généralement, les éléments et consignes suivants donnent de la crédibilité au témoignage d’une personne :
- le témoin ne doit jamais témoigner sur des opinions, hypothèses, suppositions ou déductions. Le témoin ordinaire témoigne sur des faits;
- le témoin ne doit pas avoir peur de témoigner sur un fait qui semble défavorable, lorsqu’on lui pose la question directement;
- lorsqu’un procureur soulève une objection, le témoin doit cesser immédiatement de parler. Il ne commente pas l’objection et ne dit pas que cela ne le dérange pas de répondre à la question;
- un témoin qui regarde le décideur obtient plus de crédibilité. Il doit donc toujours regarder le décideur dans les yeux, même s’il ne regarde pas le témoin et qu’il prend des notes. En effet, c’est lui que le témoin doit convaincre et non la personne qui pose des questions;
- le témoin doit s’exprimer de façon claire et suffisamment forte et ne pas répondre par des signes de tête ou par des expressions comme « hum ! hum ! »;
- le témoin ne doit pas parler pas trop vite; le décideur prend des notes et il est important qu’il saisisse bien l’ensemble du témoignage;
- le témoin ne doit jamais être agressif, toujours être poli et courtois à l’égard de tous, même du procureur du plaignant qui essaiera de prendre le témoin en défaut;
- le témoin ne doit pas exagérer ni minimiser l’importance des faits; il doit dire ce qu’ils sont dans leur intégralité, ni plus ni moins;
- le témoin ne doit pas avoir une mémoire trop sélective;
- le témoin peut consulter des documents pour répondre à une question, et demander le temps nécessaire pour le faire. Toutefois, il faut savoir que tout document auquel le témoin fait référence peut être produit en preuve. Par conséquent, tout document dont le témoin prévoit d’avoir besoin doit au préalable avoir été porté à l’attention de son procureur;
- le témoin peut sans problème dire qu’il ne connaît pas la réponse, lorsque tel est vraiment le cas (« je ne me souviens pas » ou « je ne sais pas »). Il vaut mieux qu’il réponde cela plutôt que d’essayer d’inventer ou de justifier une réponse pour plaire à la personne qui l’interroge ou pour déplaire à celle qui le contre-interroge;
- si le témoin ne comprend pas une question, ou qu’elle est trop longue, il ne doit pas hésite à le dire à la personne qui la pose;
- lorsque cela est évidemment possible, le témoin doit éviter d’utiliser des réponses approximatives, telles que : « je présume que… », « je pense que… »;
- le témoin ne doit pas oublier cet incontournable : il doit toujours faire de son mieux pour dire la vérité;
- l’audience est dirigée par un arbitre ou un juge administratif; lorsque le témoin s’adresse à lui, il faut simplement dire « monsieur ou madame l’arbitre », « monsieur le juge ou madame la juge ».
Voici maintenant les conseils propres au contre-interrogatoire par l’autre procureur :
- le procureur du plaignant a le droit de poser des questions suggestives, et il le fait généralement (c’est-à-dire des questions qui suggèrent la réponse et par lesquelles il est demandé de répondre par « oui » ou par « non »; ces questions commencent souvent par « N’est-il pas exact » ou « N’est-il pas vrai »);
- il faut écouter attentivement les questions, et ne pas en dire plus que les renseignements demandés par les questions;
- si une question suggestive est posée et qu’elle contient des faussetés ou des inexactitudes, le témoin doit dire pourquoi il ne peut pas répondre par « oui » ou « non », en soulignant les faussetés et les inexactitudes;
- le témoin ne doit pas tenter de deviner ce que le procureur cherche à obtenir comme réponse; il doit se contenter de faire de son mieux pour dire la vérité;
- le témoin ne doit jamais regarder son procureur pour obtenir une approbation sur une réponse. Cela nuirait à sa crédibilité. Il doit toujours regarder le décideur;
- si le procureur doit s’objecter, le témoin entend l’objection rapidement, et il cesse alors immédiatement de parler;
- le témoin ne doit pas se laisser impressionner par le style vocal ou gestuel du procureur du plaignant;
- il est possible que le témoin soit réinterrogé pour se faire poser des questions afin de clarifier certains éléments qui seront ressortis du contre-interrogatoire.