Recherche / vulgarisation-scientifique-RH

Les professionnelles et professionnels RH face au risque des exigences émotionnelles

Une étude révèle que le personnel en gestion médico-administrative en santé et sécurité au travail est particulièrement exposé aux exigences émotionnelles. Elle souligne l’importance d’intégrer les besoins spécifiques des professionnelles et professionnels en ressources humaines dans les programmes de prévention.
20 novembre 2025
Jacynthe Angers-Beauvais, M. Sc., D.E.S.S. | Charles Côté, Ph. D.

Les professionnelles et professionnels en ressources humaines (RH) consacrent une grande partie de leur temps à soutenir les autres. Avec les récents changements législatifs en santé et sécurité au travail (SST), leur rôle s’est élargi pour inclure davantage la prévention des risques psychosociaux (RPS). Mais qu’en est-il des risques qui touchent les secteurs administratifs des RH? Une nouvelle étude met en évidence une forte exposition aux exigences émotionnelles chez le personnel en gestion médico-administrative en SST.

Les RPS peuvent être engendrés par les conditions d’emploi ainsi que les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. Ils représentent des risques pour la santé mentale, physique et sociale ( et Bodier, 2011). Si les conséquences sur la santé psychologique sont largement reconnues — par exemple la dépression, l’anxiété, l’épuisement professionnel ou les perturbations du sommeil — l’exposition aux RPS peut aussi provoquer divers problèmes physiques, notamment musculosquelettiques, cardiovasculaires ou métaboliques (Boini et al., 2024). Mais l’enjeu des RPS dépasse largement les conséquences sur la personne en entravant l’engagement, la résolution de problèmes, la productivité et la performance organisationnelle (Dupret et al., 2012; Ramkissoon et al., 2019).

Présents dans tous les milieux de travail, les RPS peuvent toucher l’ensemble des employées et des employés (CNESST, 2024). Pourtant, dans beaucoup d’organisations, les actions mises en place ciblent encore trop rarement le personnel des secteurs administratifs, comme ceux des secteurs des RH.

Les RPS susceptibles de toucher les spécialistes en RH sont souvent associés, par exemple, à la charge de travail ou à l’autonomie décisionnelle. Pourtant, ce personnel peut également être confronté à des risques parfois mis de côté dans les analyses, comme les exigences émotionnelles. Celles-ci sont souvent perçues, à tort, comme réservées aux métiers de soins, de l’éducation ou à ceux exerçant auprès d’une clientèle jugée difficile.

Les exigences émotionnelles : un risque à analyser

Les exigences émotionnelles réfèrent au poids des émotions associées au travail (INSPQ, 2021). Elles sont liées à la nécessité de maîtriser ses propres émotions, de les cacher ou de les simuler. Elles découlent de diverses situations, comme des tensions avec le public, des contacts avec la souffrance ou la détresse humaine, ou alors de la nécessité d’un contrôle de soi ou d’afficher une attitude positive constante (Langevin et Benoît, 2022).

La littérature a démontré que les exigences émotionnelles peuvent entraîner un épuisement professionnel, des troubles dépressifs, des troubles anxieux, des troubles du sommeil ainsi que des accidents de travail. Néanmoins, à l’instar d’autres RPS, peu d’études sont disponibles pour bien cerner les effets des exigences émotionnelles sur la santé (Boini et al., 2024).

Étude sur le personnel en gestion médico-administrative en SST

Une étude récente s’est intéressée au personnel en gestion médico-administrative en SST. En analysant ses tâches, on constate qu’il occupe un double rôle, soit la gestion des dossiers et la gestion de la personne. En effet, il ne se limite pas à traiter des dossiers. Il interagit également avec des personnes souffrant d’une maladie ou d’une blessure, ou confrontées à diverses difficultés de nature personnelle ou professionnelle. Le personnel en gestion médico-administrative en SST doit également composer avec des situations parfois teintées de tensions nécessitant un contrôle de soi. Leurs fonctions, essentielles pour favoriser la présence au travail, procéder au traitement des demandes d’indemnisation et assurer le respect des droits et des obligations de l’employeur, peuvent générer de fortes exigences émotionnelles.

L’étude quantitative a été menée auprès de sept organisations du réseau de la santé et des services sociaux québécois (RSSS). 71 sujets en gestion médico-administrative en SST ont répondu au questionnaire psychosocial de Copenhague (COPSOQ) qui vise à évaluer l’environnement psychosocial au travail. Parmi les items du questionnaire, trois s’intéressent à la mesure des exigences émotionnelles :

  1. Votre travail vous place-t-il dans des situations déstabilisantes sur le plan émotionnel?
  2. Votre travail est-il éprouvant sur le plan émotionnel?
  3. Devez-vous faire face aux problèmes des autres dans le cadre de votre travail?

Résultats et interprétation

Le tableau suivant met en évidence l’ampleur des exigences émotionnelles chez le personnel en gestion médico-administrative en SST comparativement à la population active canadienne. Plus la moyenne ou le score est élevé, plus les exigences émotionnelles sont importantes.

Exposition aux exigences émotionnelles chez le personnel en gestion médico-administrative en SST et chez une population de travailleuses et de travailleurs canadiens
Exigences émotionnelles Personnel en gestion médico-administrative en SST du RSSS (n = 71) 2,4 2,22 - 2,60 60,3
Exigences émotionnelles Population de travailleuses et de travailleurs canadiens (n = 4113) Hommes (n = 2026) 1,8 1,74 - 1,83 44,7
Exigences émotionnelles Population de travailleuses et de travailleurs canadiens (n = 4113) Femmes (n = 1893) 2,0 1,98 - 2,07 50,7
n = nombre de sujets

Les analyses comparant la population active canadienne et le personnel en gestion médico-administrative en SST révèlent que ce dernier est exposé de façon nettement plus marquée aux exigences émotionnelles.

D’autres analyses ont été menées pour évaluer les effets des exigences émotionnelles et du soutien social sur le stress. Le soutien social des collègues et du gestionnaire figure comme facteur de protection pour les employés et employées en situation de forte exposition émotionnelle au travail (Beque, 2014).

L’étude a démontré que l’exposition aux exigences émotionnelles contribue à une augmentation du degré de stress, tandis qu’un meilleur soutien social des collègues et du gestionnaire apporte un effet protecteur en modérant celui-ci.

Les résultats obtenus invitent à élargir la réflexion à d’autres fonctions RH susceptibles de vivre des situations similaires.

Autres secteurs à risque

En plus du personnel en gestion médico-administrative en SST, d’autres secteurs des RH pourraient également être exposés aux exigences émotionnelles. Par exemple, les spécialistes en relations de travail, qui doivent gérer des situations complexes, souvent conflictuelles. De même, les personnes responsables du traitement des plaintes de harcèlement psychologique doivent accompagner des personnes en difficulté.

On peut aussi envisager que le personnel d’organisations comme la CNESST, la SAAQ, les compagnies d’assurances, ainsi que de l’assurance emploi, qui occupe des fonctions similaires à celles des personnes ayant participé à l’étude, soit également touché par ce type de risque psychosocial.

Comment réduire les risques?

Il est essentiel que les organisations reconnaissent les exigences émotionnelles comme un véritable risque pour la santé (Jauvin et al., 2024). Comme tout facteur de risque, elles sont perçues et vécues différemment selon les personnes et les contextes. Ainsi, les mesures préventives peuvent susciter des réactions diverses, d’où l’importance d’une préparation adéquate pour favoriser l’adhésion, par exemple :

  • donner la parole au personnel afin qu’il puisse s’exprimer sur les situations générant une forte charge émotionnelle, soutenir le partage des émotions vécues et discuter des effets possibles des RPS sur la santé;
  • souligner que les exigences émotionnelles sont désormais mieux reconnues comme un risque, ce qui favorise l’émergence d’idées et encourage la participation des divers acteurs organisationnels pour la recherche de solutions (Chénard et al., 2018).

Plus spécifiquement, les spécialistes en RH peuvent contribuer à prévenir les risques liés aux exigences émotionnelles. Plusieurs des mesures suivantes peuvent être mises en place (Austin, 2024; Gilbert-Ouimet et al., 2024; INSPQ, 2021; Jauvin et al., 2024; Langevin, 2024; Pelletier et al., 2022; Simard et al., 2018).

Mesures de prévention des exigences émotionnelles

Domaine d'intervention Objectifs Mesures de prévention
Sensibilisation, formation et développement des compétences Améliorer la compréhension et la gestion des exigences émotionnelles
  • Diffuser le programme de prévention
  • Organiser des activités de sensibilisation sur les exigences émotionnelles
  • Former le personnel sur les RPS, sur leur propre santé et leur bien-être
  • Sensibiliser le personnel aux RPS vécus par la clientèle
  • Offrir une formation sur les RPS adaptée aux gestionnaires
  • Développer les compétences émotionnelles, la capacité de résolution de problèmes et la gestion de différents types de clientèle, incluant à l'interne
  • Communiquer de façon transparente sur les exigences du poste avant l'embauche, puis accompagner la recrue après son intégration afin d'évaluer son bien-être et ses besoins
Soutien au personnel Offrir un soutien organisationnel et psychologique adapté
  • Faire participer le personnel à la recherche de solutions ou de mesures atténuantes
  • Offrir des sources de soutien variées et adaptées à chaque situation et à chaque personne
  • Créer des espaces incitant à un dialogue ouvert et transparent sur les exigences émotionnelles
  • Mettre en place des mécanismes favorisant la collaboration, la culture d'entraide et la consolidation des équipes
  • Établir des procédures pour résoudre les situations problématiques (comportements d'agressivité, de violence, etc.) et encourager le personnel à déclarer ces situations
  • Prévoir des débreffages appropriés selon la nature et la gravité des situations
  • Favoriser la création ou la participation à des communautés de pratiques ou à des comités interdépartementaux
  • Assurer l'adéquation entre les ressources de soutien psychologique disponibles (programme d'aide aux employés, etc.) et les besoins du personnel
  • Diffuser l'information sur les ressources de soutien psychologique offertes
  • Adapter les mesures de prévention aux réalités du travail en mode hybride et du télétravail
Gestion de tâches et organisation du travail Réduire les sources d'exigences émotionnelles et améliorer l'efficacité
  • Renforcer l'autonomie du personnel et favoriser la flexibilité dans la réalisation du travail
  • Mettre en œuvre des mesures pour améliorer la qualité de la communication entre le personnel, la clientèle des RH à l'interne, et les différents acteurs internes et externes à l'organisation
  • Harmoniser, autant que possible, les caractéristiques du poste, les attentes professionnelles et les valeurs individuelles
  • Confier, lorsque possible, les tâches les plus exigeantes sur le plan émotionnel aux personnes plus expérimentées
Récupération et équilibre personnel Favoriser le bien-être et la récupération
  • Accorder du temps de récupération et de recul après une situation impliquant de fortes exigences émotionnelles
  • Aménager un environnement physique propice aux échanges confidentiels, au ressourcement ou à la ventilation émotionnelle
  • Promouvoir l'équilibre entre la vie professionnelle et personnelle et encourager la prise de pauses régulières au cours de la journée

Les nouvelles obligations légales liées aux RPS transforment en profondeur les pratiques de prévention. Cette étude souligne l’importance d’inclure les spécialistes en RH dans ces démarches et de les sensibiliser à la valorisation de leur propre bien-être, une condition essentielle à l’accomplissement durable de leurs rôles.

Les exigences émotionnelles, souvent sous-estimées comme risque dans les fonctions administratives, doivent désormais être pleinement intégrées à la mesure, à l’analyse et à la prévention des RPS chez le personnel en RH.

Références bibliographiques

Austin, S. (2024). Risques psychosociaux du travail : État des connaissances scientifiques récentes pour favoriser leur prise en compte. Centre de recherche et d’innovation - Carrefour RH. https://carrefourrh.org/Recherche/revue-litterature/2024/04/risques-psychosociaux-travail-etat-connaissances

Beque, M. (2014). Les risques psychosociaux au travail : un panorama d’après l’enquête Santé et itinéraire professionnel 2010. Dares analyses, (031). https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/les-risques-psychosociaux-au-travail

Boini, S., Colin, R., Langevin, V. et Gauthier, M. A. (2024). Effets des expositions psychosociales sur la santé des employés. Mise à jour des connaissances épidémiologiques. Références en santé au travail - INRS, 180. https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=TP%2057

Chénard, C., Mantha-Bélisle, M.-M. et Vézina, M. (2018). Intervenir sur les risques psychosociaux du travail : leviers et stratégies de mobilisation. INSPQ. https://www.inspq.qc.ca/publications/2372

CNESST. (2024). Programme de santé au travail - Risques psychosociaux liés au travail. https://www.centredoc.cnesst.gouv.qc.ca/pdf/Publication/PS_risques_psychosociaux.pdf

Dupret, É., Bocéréan, C., Teherani, M. et Feltrin, M. (2012). Le COPSOQ : un nouveau questionnaire français d’évaluation des risques psychosociaux. Santé publique, 24(3), 189-207. https://shs.cairn.info/revue-sante-publique-2012-3-page-189?lang=fr

Gilbert-Ouimet, M., Hervieux, V., Truchon, M., Bernard, G., Thibeault, J. et Lachapelle, É. (2024). Répertoire des pratiques organisationnelles pour réduire les risques psychosociaux du travail. https://www.uqar.ca/uqar/recherche/unites_de_recherche/chaire_sante_travail/repertoire.pdf

Gollac, M. et Bodier, M. (2011). Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser. Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du Ministre du travail, de l’emploi et de la santé. https://cdn-cms.f-static.com/uploads/2443680/normal_5d6a453704c36.pdf

INSPQ. (2021). Quand le travail émotionnellement exigeant rend malade. Info-RPS, 1. https://www.inspq.qc.ca/bulletin-info-rps/vol1-no2-mars2021

Jauvin, N., Aubry, F., Etheridge, F., Feillou, I., Gagnon, É., Freeman, A., Côté, N., Biron, C., Pelletier, M., Ziam, S. et Truchon, M. (2024). Recherche-action visant le développement d’un modèle d’intervention préventive en SST par et pour les préposés aux bénéficiaires en CHSLD. https://pharesst.irsst.qc.ca/rapports-scientifique/707/

Langevin, V. (2024). Risques psychosociaux. 9 conseils pour agir au quotidien. https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%206250

Langevin, V. et Benoît, M. (2022). Risques psychosociaux. Comment agir en prévention? https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%206349

Pelletier, M., Mantha-Bélisle, M.-M., Vézina, M. et Jauvin, N. (2022). Comment soutenir les situations de travail émotionnellement exigeantes? INSPQ - Pratiques de gestion favorisant la santé mentale au travail. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/sante-travail/carrefour-prevention/fiche-travail-emotionnellement-exigeant.pdf

Ramkissoon, A., Smith, P. et Oudyk, J. (2019). Dissecting the effect of workplace exposures on workers’ rating of psychological health and safety. American journal of industrial medicine, 62(5), 412-421. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/ajim.22964

Simard, R., Roy, M. et Féret, A. (2018). Portrait de la résilience chez les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux en Estrie : un bref état de la situation (publication no 2550821122). https://www.santeestrie.qc.ca/fileadmin/migratedNewsAssets/Files/Etat_de_situation_Resilience_employes_RSSS_01.pdf


Jacynthe Angers-Beauvais, M. Sc., D.E.S.S. Étudiante au doctorat, UQAM - UQAR

Charles Côté, Ph. D. Professeur, UQAR