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En cas de crise, savoir adapter son style de direction

Traduit par Sylvie Gauthier, traductrice agréée, Polytraduction
Reproduit avec la permission de la Society for Human Resource Management (SHRM).
Tous droits réservés.

1 mars 2011
Michael Anderson et Sarita Bhakuni

Lorsqu’une entreprise se prépare en vue des situations de crise, son plan d’urgence ne représente que la moitié du tableau. Il est tout aussi important qu’elle se prépare aux réactions émotionnelles qui se propageront dans l’ensemble de son personnel.

Pendant une crise, les actes posés par les dirigeants sont souvent contraires au bon sens. Toutefois, du point de vue de la psychologie organisationnelle, leurs bévues pourraient aisément s’expliquer : quand ils sont affectés par le stress, les dirigeants adoptent souvent des comportements qui semblent inhabituels pour eux et, souvent, ils ne sont pas préparés à leurs propres réactions émotionnelles ni à celles de leurs subordonnés. De plus, ils ne savent pas adapter leur style de direction selon les circonstances. Et pourtant, grâce à une formation appropriée et à la compréhension de soi, ils peuvent se préparer à gérer les crises de manière optimale.

L’un des premiers principes dont il faut tenir compte lors de la préparation aux situations de crise est que la « personnalité » d’un individu dans un contexte organisationnel dépend en grande partie de la gestion de l’impression qu’il fait sur les autres. Pour la plupart, les gens se montrent sous un jour favorable, en faisant de leur mieux. Cette tactique donne de bons résultats tant qu’ils exercent un contrôle raisonnable sur la situation et qu’ils peuvent consacrer l’énergie nécessaire à afficher leurs bons côtés.

Toutefois, tout individu est doté de traits de caractère moins souhaitables, ou même dysfonctionnels, qui sont susceptibles de se manifester quand sa capacité de gérer l’impression qu’il produit sur les autres est compromise par des facteurs tels que le stress, la maladie, la fatigue ou des changements importants qui surviennent dans sa vie. Ironiquement, c’est au moment où il a le plus besoin d’accéder à la meilleure partie de lui-même que ses pires traits de caractère émergent le plus facilement, puisque le stress réduit les moyens de défense volontaires dont il dispose contre eux.

La personnalité soumise au stress
Les crises donnent aux gens l’occasion de briller ou de montrer leur faiblesse. Certaines personnes sont paralysées, certaines deviennent stoïques, d’autres agissent et d’autres encore cèdent à la panique. Quoi qu’il en soit, une personne soumise au stress éprouve plus de difficulté à réagir de manière optimale.

Bien que les réactions varient, le narcissisme, qui se caractérise par le sentiment d’avoir droit à tout et par une perception grandiose de soi-même, est l’un des traits de caractère dysfonctionnels les plus problématiques qu’un dirigeant puisse manifester au cours d’une crise. Précisément au moment où le personnel compte que son supérieur agira pour le bien de l’entreprise, celui-ci pourrait avoir le réflexe du « chacun pour soi ». Il se peut, par exemple, que le chef de la direction ait une réaction narcissique au stress lorsqu’il vend des actions ou qu’il prend des mesures afin de s’assurer d’avoir le dessus aux dépens de l’entreprise. Les autres symptômes vont des plus superficiels à l’agression physique sur le lieu de travail. Les manifestations dysfonctionnelles par un dirigeant ont entre autres les conséquences suivantes à l’échelle de l’entreprise : satisfaction amoindrie au travail, taux d’absentéisme élevé, rotation élevée du personnel, mauvaises prises de décision, moins grande cohésion et rendement inefficace.

Cela ne veut pas dire que les traits de caractère dysfonctionnels réduisent à néant la capacité de direction. Chaque personne a des traits de caractère dysfonctionnels, et sa capacité à les gérer face au stress détermine en grande partie son aptitude à diriger en temps de crise. La clé consiste à développer la conscience de soi, notamment par la compréhension des dysfonctions susceptibles de se manifester en période de stress et l’acquisition de mécanismes d’adaptation afin de les maîtriser.

La prévision des réactions au stress
Bien qu’elles puissent sembler aléatoires et irrationnelles, les réactions au stress sont d’ordinaire prévisibles et révélatrices. On emploie deux techniques pour les comprendre et les prévoir.

La première suppose l’analyse d’incidents critiques au cours desquels le sujet a vécu une crise. Quelles émotions a-t-il ressenties? Comment s’est-il comporté? Qu’est-ce qui a donné de bons résultats et qu’est-ce qui s’est retourné contre lui?

La seconde technique consiste à utiliser des outils psychométriques afin d’analyser la personnalité et de prévoir les réactions au stress. Bien qu’il existe de nombreux outils de ce genre, dans le présent article, nous mentionnons souvent les « constructs » (ou concepts hypothétiques) employés dans l’instrument appelé California Psychological InventoryMC, à savoir la sociabilité, l’acceptation de soi, la maîtrise de soi, la responsabilité, le bien-être, l’adaptabilité et la dominance (d’autres instruments utilisent des constructs analogues).

Pour comprendre les réactions au stress, on se sert d’un autre outil très pratique, à savoir la théorie élaborée par la psychologue Naomi Quenk et désignée en anglais par l’expression « grip theory » (où le mot « grip » signifie « être aux prises avec »). Selon cette théorie modelée sur le test Myers-Briggs Type IndicatorMD, alors qu’une personne agit en temps normal à l’intérieur de certaines préférences dominantes quant à sa personnalité, elle est susceptible de retourner à ses préférences inférieures lorsqu’elle est soumise à un stress intense. Comme, en temps normal, elle n’a pas recours à ses préférences inférieures, elle est moins habile à les employer et risque donc d’adopter des comportements inattendus qui ne lui ressemblent pas. Parfois appelée phénomène « Jekyll and Hyde », cette situation peut être particulièrement utile pour déceler les symptômes d’un stress grave. Lorsque des collègues de travail agissent d’une manière contraire à leur caractère habituel, il se peut qu’ils soient aux prises avec le stress.

Arrêtez-vous et adaptez-vous à la situation!
La consigne à suivre par une personne lorsque ses vêtements prennent feu est de s’arrêter, de se laisser tomber et de se rouler par terre; mais il est probable qu’elle cédera plutôt à son instinct de courir et de hurler. Toutefois, ceux qui ont appris et répété la technique peuvent résister à l’impulsion et appliquer plutôt cette méthode simple. De même, au cours d’une crise, les dirigeants devraient pratiquer une version mentale de cette méthode :

  • cessez ce que vous êtes en train de faire;
  • laissez tomber vos idées préconçues et votre envie d’agir rapidement, ainsi que le besoin de structure et de confinement lorsqu’il n’y en a pas;
  • adaptez-vous à la situation et cherchez l’information qui mènera à la meilleure voie à emprunter.

En agissant ainsi, les dirigeants peuvent annuler les effets du stress et accéder à leur objectivité.

Une faible maîtrise de soi et une faible responsabilité (ou impulsivité) – qui peuvent à certains moments procurer un avantage concurrentiel au dirigeant – risquent de devenir incontrôlables pendant une crise, ce qui mènera à des prises de décision beaucoup trop risquées. Au cours d’une crise, il est recommandé au dirigeant qui présente ces traits de caractère de prendre du recul, de peser le pour et le contre de ses décisions et de consulter des collègues, en particulier ceux qui ont tendance à prendre leurs décisions de manière plus réfléchie.

Aucun trait de caractère n’est entièrement positif ou négatif. Par exemple, un grand sentiment de bien-être (ou optimisme) chez un dirigeant indique en général une résilience initiale face au stress, qui est attribuable à la conviction profonde d’être en mesure de se sortir de la situation en question. Cependant, un tel sentiment risque de causer des problèmes si le dirigeant ne se rend pas compte que le plan mis en place ne donne pas les résultats escomptés; il pourrait aussi nuire à sa capacité de changer d’orientation. Un niveau élevé d’acceptation de soi, que l’on considère en général comme un signe de résilience, pourrait comporter des embûches similaires. Dans un tel cas, le procédé « s’arrêter, se laisser tomber et se rouler par terre » pourrait consister à mettre de côté le sentiment de confiance en soi et à évaluer de manière objective si la ligne de conduite adoptée est véritablement efficace.

L’établissement de relations
Les gens comptent sur les conseils et le soutien les uns des autres. La capacité d’établir et d’entretenir des relations détermine dans une large mesure la capacité du dirigeant de se sortir d’une crise. En situation de stress, ces relations sont mises à l’épreuve à cause des traits de caractère dysfonctionnels qui se manifestent.

Pour se préparer efficacement aux situations de crise, il faut établir des relations pendant les périodes plus calmes et apprendre à prévoir les réactions réflexes provoquées par le stress et caractérisées par des comportements narcissiques ou dysfonctionnels qui, souvent, nous aliènent les autres, de même qu’à résister à ces réactions. Une faible sociabilité indique un besoin marqué de se concentrer sur les aspects de la formation qui reposent sur les relations.

La délégation
Pendant une crise, il pourrait être bon que les dirigeants délèguent certaines tâches à ceux qui sont plus aptes à les exécuter. La dominance est associée à la capacité d’un individu d’assumer un rôle de direction et de persévérer dans des temps difficiles. Cependant, les personnes extrêmement dominantes risquent de devenir autoritaires et dominatrices en période de stress.

L’adaptation du style de direction
Un dirigeant qui connaît bien son équipe est en mesure d’adapter son style de direction aux besoins du moment. Il lui est particulièrement utile de reconnaître les réactions au stress, car les comportements inhabituels observés lui donnent des indices sur le moment où les membres de son équipe atteignent le point de rupture. Il peut adapter son style en conséquence, par exemple en relâchant légèrement son emprise afin de donner un peu de répit à ses employés ou, dans certains cas, en intensifiant son degré de dominance par une plus grande fermeté et un encadrement accru.

Certaines interactions publiques pourraient aussi nécessiter un ajustement du style de direction. Par exemple, alors que le fait de projeter une image d’acceptation de soi (ou charme et confiance en soi) peut aider le dirigeant à se hisser jusqu’au sommet, l’humilité pourrait s’avérer nécessaire au cours de certaines crises, en particulier si l’entreprise est sur la sellette en raison d’erreurs commises.

L’accès à l’information voulue
Pendant une crise, l’aptitude à prendre des décisions stratégiques est cruciale. Malheureusement, il devient alors difficile pour le dirigeant d’avoir accès à ses meilleures idées, car son objectivité risque d’être brouillée par la panique. Ce qui l’aidera à surmonter cet obstacle, c’est d’établir à l’avance des canaux d’information et de veiller à ce qu’ils demeurent ouverts en temps de crise, ainsi que de consulter des personnes de confiance. Le dirigeant doit avoir la souplesse requise pour réagir à de nouveaux éléments d’information et modifier la ligne de conduite au besoin. Pour finir, le simple fait de comprendre qu’il sera sans doute plus difficile d’avoir une pensée rationnelle en temps de crise pourrait lui procurer les connaissances nécessaires pour mieux peser ses décisions.

La vision globale
Une bonne formation en matière de gestion des crises permet au dirigeant d’équilibrer les personnalités des membres de son équipe. Il est tout aussi important, cependant, d’envisager la préparation aux situations de crise d’un point de vue global, c’est-à-dire la mesure dans laquelle l’entreprise est prête à répondre à des situations stressantes. Il conviendrait d’examiner de près la culture organisationnelle ainsi que certains facteurs tels que la justice,
la communication et la confiance au sein de l’entreprise.

Quel que soit le nombre de plans établis, des forces extérieures inattendues et incontrôlables seront toujours à l’œuvre. La façon dont les dirigeants réagissent pendant une telle période détermine si une crise constitue une occasion à saisir ou une garantie d’échec. La conscience de soi, tant au niveau local qu’à l’échelle de l’entreprise, et la création de mécanismes d’adaptation peuvent contribuer à préparer les dirigeants à résoudre chaque crise.

Michael Anderson, Ph. D., chercheur scientifique principal, et Sarita Bhakuni, consultante en développement organisationnel, CPP Inc.

Source : Effectif, volume 14, numéro 1, janvier/février/mars 2011.


Michael Anderson et Sarita Bhakuni