ressources / revue-rh / archives

ANALYSE DU PROFESSEUR - Pour atténuer les risques…

Cascades Groupe Tissu se propose d’investir dans ses installations de Lachute, ce qui devrait améliorer la viabilité et la durabilité à long terme de l’usine, mais les conditions nécessaires à cet investissement et le moment choisi pour l’effectuer ont entraîné une série de difficultés pour le directeur des ressources humaines.

20 décembre 2010
Neil Fassina, CHRP

En effet, la direction de Cascades a demandé à ce dernier de rouvrir une convention collective signée un mois auparavant afin de renégocier des questions litigieuses et potentiellement dangereuses dans un contexte de détérioration des négociations et à l’intérieur d’un délai serré, tout cela dans un climat d’incertitude quant aux effets de la dépense en immobilisations envisagée.

Si l’entreprise veut favoriser la réussite de cet investissement et peut-être offrir un modèle pour de futures usines canadiennes, il lui faut élaborer un plan opérationnel non contextuel qui allie les intérêts des multiples parties prenantes, à savoir les employés, l’entreprise Cascades, le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et la population de Lachute, dans le cadre d’un plan de communication opérant, d’une approche coopérative des négociations et d’une stratégie de changement efficace qui tienne compte de la gestion des risques d’entreprise.

La réussite par la communication et les relations
Malgré les limites de temps, il est capital pour la réussite de cette initiative que la communication se déroule de manière ouverte, constante et transparente et de préférence face à face entre toutes les parties prenantes. Bien que les spécifications aient été envoyées au SCEP, l’équipe de direction de Cascades Groupe Tissu et celle du SCEP devraient se rencontrer pour discuter d’un certain nombre d’aspects techniques et de questions relationnelles et arriver à une décision à leur sujet. Au nombre des aspects techniques pourraient figurer l’établissement des délais, les conditions du Code du travail qu’il est nécessaire de respecter pour rouvrir la convention collective et en conclure une nouvelle ainsi que la création d’une équipe conjointe de communication et de gestion du changement. Au nombre des questions relationnelles pourrait figurer l’élaboration d’un plan de communication portant entre autres sur les motifs des changements proposés, sur ce à quoi les employés devraient s’attendre au cours des négociations et sur les changements qui s’ensuivront. Ce plan pourrait également préciser quand et comment il sera le plus efficace de communiquer des informations aux diverses parties prenantes, ainsi que la manière dont celles-ci pourront communiquer avec l’équipe de gestion du changement.

En plus d’établir et de favoriser une communication bilatérale entre les parties prenantes, la mise en place d’une stratégie de communication et de relations rapporte des avantages secondaires liés à deux autres des facteurs de réussite de cette initiative. Premièrement, elle lance des échanges de négociation préliminaires, ce qui donne à la direction de Cascades Groupe Tissu la possibilité non seulement d’aborder la réouverture de la convention collective comme une possibilité de coopération, mais aussi d’apaiser les craintes que les membres du SCEP sont susceptibles d’éprouver face au précédent que la réouverture de cette convention pourrait créer. Deuxièmement, elle fournit une voie de communication par laquelle l’équipe responsable des changements qui découleront de la signature d’une nouvelle convention ou de la dépense en immobilisations envisagée pourra transmettre des messages de manière efficace.

La réussite par des négociations fondées sur les intérêts des parties
L’écart grandissant entre les besoins d’affaires de la société Cascades et les normes générales de l’industrie a créé des tensions quant aux pratiques de travail appropriées et aux conditions connexes de la convention collective. Étant donné que Cascades et le SCEP ont tous deux énoncé leur position de principe, en particulier au sujet des régimes de retraite, il est impératif que l’équipe de négociation de Cascades Groupe Tissu tente d’engager le SCEP dans des négociations coopératives abordant plusieurs points en litige et axées sur les intérêts sous-jacents tant à la position de Cascades Groupe Tissu qu’à celle du SCEP et sur la viabilité à long terme de l’usine. On ne saurait exagérer l’importance de négociations fondées sur les intérêts des parties quand on considère qu’un certain nombre des conditions de Cascades peuvent être interprétées comme une menace pour la rémunération des membres du SCEP (par exemple le régime de retraite et la rémunération au rendement), pour leur ancienneté (par exemple le choix des techniciens par l’employeur) et pour la souplesse des modalités d’emploi (mobilité des techniciens et contrat d’une durée de huit ans). Comme il s’est révélé difficile de parvenir à une entente au mois de septembre, on pourrait soutenir que Cascades et le SCEP arriveront à conclure une nouvelle convention uniquement s’ils sont en mesure de définir des clauses d’exception ou des compromis possibles, ce que seules des négociations fondées sur les intérêts des parties permettront.

La réussite par la planification du changement
En plus des préoccupations que nourriront probablement les membres du SCEP face à la réouverture de la convention collective, le directeur des ressources humaines à l’usine de Lachute doit être prêt à aborder et à apaiser les craintes liées aux changements technologiques et contractuels qui suivront les négociations. Comme ces préoccupations ou ces craintes feront sans doute immédiatement surface, il serait bien avisé d’élaborer sans tarder une stratégie afin d’orienter le processus de changement et de fournir un cadre dans lequel répondre aux inévitables questions sur la nécessité du changement, sur le moment où les changements possibles s’effectueront, sur les changements qui demeurent encore incertains et sur les répercussions que les changements sont susceptibles d’avoir. Dans le cadre d’une stratégie de changement, le directeur des ressources humaines aurait peut-être intérêt à entamer une opération de gestion des risques d’entreprise afin de cerner les risques liés à la réouverture de la convention collective et aux changements qui pourraient résulter de l’investissement envisagé et afin d’établir un plan pour y faire face.

Les facteurs de risque
Une opération de gestion des risques permettra sans doute de déceler tout un ensemble de risques liés aux changements que la convention collective et le milieu de travail pourraient tous deux subir. La rupture des communications entre Cascades Groupe Tissu et le SCEP constitue un risque immédiat, à probabilité moyenne et à forte incidence. Elle pourrait avoir pour conséquence que le SCEP soit réticent à rouvrir et à renégocier la convention collective. Étant donné les difficultés que pose la renégociation de la convention collective conclue récemment, un risque à probabilité élevée et à forte incidence se pose, à savoir celui que les négociations deviennent rapidement catégorielles et conflictuelles et mènent à une grève, à un lockout ou pire. Le processus de négociation comporte un troisième risque, à probabilité élevée et à incidence modérée, soit celui que les négociations ne soient pas terminées à temps, ce qui entraînerait des dépassements de coûts.

Tout changement s’accompagne d’incertitude. Dans le cas de l’usine de Lachute, le risque qu’une incertitude se manifeste et entraîne un manque de flexibilité face aux changements requis pourrait persister longtemps à cause du contrat d’une durée de huit ans que la direction de l’entreprise demande. En dernier lieu, l’opération de gestion des risques révélerait sans doute un autre risque à probabilité moyenne et à forte incidence, celui que les modifications apportées à la convention collective et au milieu de travail n’entraînent une baisse de productivité.

Une stratégie de négociation pour atténuer les risques
Comme nous l’avons mentionné plus haut, la meilleure façon de favoriser la stratégie de négociation avec le SCEP à l’usine de Lachute serait d’établir une communication face à face, ouverte, constante et transparente. Bien qu’elle ne suffise pas, la communication est nécessaire pour susciter à tout le moins la possibilité d’entamer les négociations de manière coopérative et en se fondant sur les intérêts des diverses parties en présence. De plus, il serait bon que l’équipe de négociation travaille en collaboration avec l’équipe de direction élargie de Cascades Groupe Tissu afin de mieux comprendre les motifs des exigences formulées par l’entreprise. Seule la compréhension des intérêts sous-jacents permettra aux membres de l’équipe de négociation d’élaborer efficacement une stratégie de concession et de déterminer s’il leur sera possible de satisfaire les intérêts de Cascades Groupe Tissu sans avoir à passer à la négociation positionnelle ou catégorielle. Au nombre des questions ou des clauses sur lesquelles l’équipe de négociation pourrait se pencher figure une clause qui prévoirait la révision de la convention au bout de quatre ans, malgré sa durée de huit ans. Bien qu’elles n’empêchent pas le processus de se prolonger au-delà du délai prévu, des négociations face à face fondées sur une communication efficace, sur la coopération et sur les intérêts des diverses parties réduisent au moins la probabilité que cela ne se produise.

Neil Fassina, CHRP, Ph. D., professeur agrégé, chef de département, administration des affaires, université du Manitoba
Traduit par Sylvie Gauthier, traductrice agréée, Polytraduction

Source : Effectif, volume 13, numéro 5, novembre/décembre 2010.


Neil Fassina, CHRP