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ANALYSE DES ÉTUDIANTS - Une négociation fondée sur les intérêts

Voici l’analyse du cas de Cascades Groupe Tissu, telle qu’elle a été présentée par l’équipe de l’université Concordia, gagnante du tournoi, composée de Rebecca Golt, Mitchell Robitaille et Scott Fisher. Les concurrents disposaient d’une heure et demie pour étudier le cas qui leur était soumis.

20 décembre 2010
Équipe de l’université Concordia

Cascades Groupe Tissu doit tirer parti des leçons apprises de l’usine de Lachute, où on a connu des problèmes importants avec le syndicat, et ce, pour aider d’autres entreprises du groupe. Les principaux problèmes éprouvés concernent les négociations.  

Le contexte
La convention collective est arrivée à échéance en mai 2007 et une nouvelle convention a été signée au mois de septembre suivant, mais sans atteindre le but ultime de Cascades, à savoir la modification des régimes de retraite. Un mois plus tard, la direction a annoncé qu’elle voulait effectuer un important investissement dans l’usine de Lachute pour la moderniser et en faire une des plus concurrentielles du secteur. Avant de procéder, il fallait négocier de nouveau avec le syndicat pour amener les deux parties à faire certaines concessions. Une nouvelle entente entre le syndicat et la direction a finalement été conclue en décembre 2007.

Quelles leçons peut-on tirer du cas de l’usine de Lachute? En premier lieu, on a privilégié les positions plutôt que les intérêts. La direction a adopté la position voulant que le régime à prestations déterminées devait être remplacé par un régime à cotisations déterminées. Or, cette position était totalement inacceptable pour le syndicat. Ce changement est-il réellement avantageux pour la modernisation de l’usine? Le changement de régime de retraite vise à réduire les coûts. Cependant, il y a d’autres façons de procéder, qui seront indiquées plus loin dans le texte.

En outre, le fait qu’une nouvelle convention a été signée à la satisfaction des employés puis rouverte un mois plus tard n’est pas de nature à établir un climat de confiance entre les employés et la direction. En effet, les employés peuvent craindre que la direction décide de modifier ses plans encore une fois. Une simple note de service pouvait tout changer, ce qui créait un sentiment d’insécurité.

Enfin, précurseur à cet égard, Cascades se préoccupe de l’environnement. Pour sa part, le syndicat des communications, de l’énergie et du papier ne comprend pas vraiment cet aspect parce qu’il s’occupe d’un très grand nombre d’autres usines qui n’ont pas les mêmes visées que Cascades. Par conséquent, les représentants du syndicat ne comprennent pas réellement les intérêts de Cascades.

Les facteurs de succès
Trois facteurs de succès importants permettront de conclure la négociation rapidement dans d’autres usines de Cascades Groupe Tissu, à la satisfaction de toutes les parties prenantes. D’abord, il faut s’assurer que l’équipe de négociation connaît bien l’orientation que prend l’entreprise. Ensuite, elle doit bien comprendre la stratégie globale de l’entreprise pour éviter de signer à nouveau une convention qui ne répond pas aux besoins futurs.

Enfin, il faut maintenir en tout temps de bonnes relations de travail pour que la négociation puisse être conduite rapidement et de façon équitable, le moment venu. On doit veiller à justifier les concessions demandées, sans quoi elles seront jugées inacceptables par le syndicat. La simple présentation d’une liste de concessions ne permet pas de créer un climat qui va inciter les parties présentes à la table de négociation à travailler à obtenir la meilleure entente possible.

La négociation
La précédente négociation à l’usine de Lachute a duré environ sept mois. Aussitôt signée, la convention a été rouverte, parce que l’entreprise voulait investir quinze millions de dollars pour l’installation d’une machine à la fine pointe de la technologie. De toute évidence, cela complique la négociation et ce n’est pas de nature à créer la relation solide dont l’entreprise aura besoin à l’avenir.

La solution est simple, mais il est important de la mettre en œuvre avant d’entreprendre toute négociation. L’équipe de négociation va devoir rencontrer le syndicat et la haute direction de Cascades, qui doit lui faire part des changements éventuels de stratégie ou d’orientation de l’entreprise. Il est important que toutes les parties présentes à la table de négociation sachent exactement à quoi s’attendre. Le résultat sera bien sûr une convention collective qui servira au mieux les intérêts de la société pendant toute sa durée.

Le maintien de bonnes relations en tout temps
C’est un aspect important parce que Cascades fonctionne d’une façon différente des autres entreprises de son secteur. L’importance accordée au respect de l’environnement suppose en effet une façon différente de fonctionner. Si l’entreprise maintient des lignes de communication ouvertes avec les représentants des travailleurs, elle aura l’assurance qu’au moment de négocier, le syndicat comprendra ses besoins et travaillera avec elle à trouver des solutions.

La communication doit être régulière, ouverte et honnête. Lorsqu’il y a des doléances, il ne faut pas attendre des semaines ou des mois avant de réagir. Le résultat? La négociation sera fondée sur la situation propre à Cascades plutôt que sur celle qui prévaut dans son secteur.

Les concessions
Le syndicat ne va pas accepter tout simplement les concessions demandées, en particulier si elles concernent des questions aussi cruciales que le régime de retraite de ses membres. Il est très important d’expliquer clairement le pourquoi de ces demandes et préciser que, sans ces concessions et une réduction des coûts, l’avenir de la société est en danger. Ainsi, Cascades démontrera qu’elle pose des bases essentielles pour son avenir et s’assurera que tous comprennent qu’il faut procéder à ces changements pour garantir cet avenir.

Il faut donc axer l’argumentation sur les intérêts des parties, plutôt que sur des questions précises. Le syndicat des communi­cations sera ainsi mieux disposé à écouter les suggestions.

Les risques
Cinq risques pourraient éventuellement nuire à l’un ou l’autre des nouveaux projets. Le premier risque est la durée de la convention collective. Pour investir dans l’usine de Lachute, la convention collective devait être prolongée de 2011 à 2015 et s’étendre sur une période de huit ans. Or, le problème réside dans le fait que Cascades a déjà essayé sans succès de faire ces changements dans d’autres usines. Cascades a en effet déjà tenté de mettre en place une nouvelle machine dans une usine aux États-Unis, à ces conditions, et cela n’a pas fonctionné. Il y a maintenant un risque parce que le Groupe a fait des concessions.

Naturellement, pendant la négociation, il n’a pas été mentionné que, pour que les coûts demeurent faibles, il fallait que cette négociation dure environ un mois plutôt que pendant sept ou huit mois, comme cela se produit fréquemment.

De plus, la négociation des questions techniques, entre autres les régimes de retraite, risque de tomber dans une impasse, comme l’a confirmé l’exemple de l’usine de Lachute. Il est important de s’assurer que les négociations ne soient pas interrompues et d’éviter le risque que chaque partie campe sur ses positions. Un retard important n’est pas acceptable.

Par ailleurs, la nouvelle orientation de l’entreprise implique la formation du personnel, ce qui peut entraîner une réaction négative des employés. Bon nombre d’employés travaillent pour l’entreprise depuis longtemps. Veulent-ils recevoir une nouvelle formation?

Enfin, si les choses ne se passent pas bien, il est toujours possible que le syndicat opte pour la grève.

Parmi tous ces facteurs de risque, les trois plus importants sont la contrainte de temps, l’impasse dans les négociations relatives aux questions techniques et, naturellement, la menace de grève.

La solution
Une négociation basée sur les intérêts est la stratégie la plus efficace pour résoudre ces trois problèmes. Ainsi, pour ce qui est des contraintes de temps, la solution qui s’avère la plus efficace consiste à opter pour un processus extrêmement rapide. En fait, la période de négociation devrait durer deux semaines tout au plus.

En ce qui a trait à l’impasse relativement aux questions techniques, une négociation sincèrement fondée sur les intérêts de toutes les parties permet de se concentrer sur les préoccupations par opposition à une négociation où chacun campe sur ses positions. Ainsi, il faut tenir compte de l’ensemble des préoccupations et non pas simplement de la nécessité de réduire les coûts de la rémunération et du régime de retraite. Cette approche, qui favorise la créativité et la collaboration, a aussi une incidence sur l’autre facteur de risque, soit la possible grève.

La première étape, très importante, consiste à déterminer ce qu’est une négociation sur les intérêts. Avant d’entamer une telle négociation, il faut s’assurer que les deux parties présentes à la table de négociation ont reçu une formation sur la façon dont ce processus fonctionne. Il importe de bien faire comprendre aux deux parties, la direction et le syndicat, qu’il faut aborder la situation sous l’angle des préoccupations globales. En d’autres mots, elles doivent faire preuve d’un esprit de collaboration plutôt que de s’opposer sur des questions précises.

La deuxième étape est le processus même de la négociation. Il est très important que chaque partie présente des préoccupations claires. La principale préoccupation de la direction concerne la réduction des coûts. Il est plus important d’aborder la négociation en exposant cette préoccupation plutôt qu’en demandant à l’autre partie d’accepter de modifier le régime de retraite. Et l’autre partie doit faire de même. En fait, tous doivent démontrer qu’ils travaillent pour l’entreprise, pour qu’elle continue de prospérer et qu’elle demeure concurrentielle. L’ennemi n’est pas dans la salle, il est à l’extérieur, chez les concurrents.

Conclusion
Naturellement, la viabilité à long terme de l’entreprise doit aussi être prise en considération dans le processus de négociation. Même si Cascades s’est assurée que la société est en mesure de prospérer à l’avenir, une solide relation avec le syndicat est tout aussi importante.

Pour que l’entreprise puisse implanter une nouvelle machine à la fine pointe de la technologie dans d’autres usines aux États-Unis et au Canada, les négociations doivent être rapides et efficientes. En ayant recours à une négociation basée sur les intérêts efficace, l’entreprise pourra mener les négociations à bien en deux semaines environ.

Mais il ne suffira pas de dire que les négociations se sont déroulées rapidement; il faudra aussi que le processus lui-même et, en dernier ressort, le résultat, soient acceptables pour les deux parties, c’est-à-dire les employés et la direction.

Source : Effectif, volume 13, numéro 5, novembre/décembre 2010.


Équipe de l’université Concordia