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Les RH en 2022-2023 : réussir le travail en mode hybride et affronter la pénurie de main-d’œuvre

Dans le monde de la gestion des RH, personne n’ignore à quel point la conjoncture est à la fois inédite, voire potentiellement explosive, et propice à de stimulantes réinventions.
6 septembre 2022

par Philippe Couture

La rentrée automnale 2022 sera sans doute l’une des plus mouvementées des dernières années, alors que se conjuguent dans presque tous les secteurs d’emploi, les défis du travail en mode hybride et de la pénurie de main-d’œuvre. Conversation avec quelques experts et expertes, qui nous disent aussi que cette année verra l’explosion de tendances anticipées depuis longtemps : hausse des rémunérations, nouveaux modes de gestion, priorité à l’équité, la diversité et l’inclusion, entre autres.

Dans le monde de la gestion des RH, personne n’ignore à quel point la conjoncture est à la fois inédite, voire potentiellement explosive, et propice à de stimulantes réinventions. Les défis sont innombrables : contrer la pénurie, affronter les bouleversements du travail en mode hybride et de la transformation numérique, favoriser la santé psychologique et physique des travailleurs et travailleuses dans un monde post-COVID, réagir à la pression de l’inflation et naviguer dans le contexte de l’augmentation nécessaire des salaires.

Il faudra à la profession beaucoup de créativité. Non seulement la gestion des ressources humaines doit continuer à se transformer profondément, mais les relations de travail doivent être envisagées différemment, dans un contexte où les conflits et l’épuisement sont légion, et dans une société où s’imposent de nouveaux codes d’inclusion et d’équité.

Vous avez dit hybride?

Le mot est sur toutes les lèvres. Et pour cause. « Il ne s’agit évidemment bien plus que de mettre en place du travail à distance quelques jours par semaine, mais plutôt de penser ce modèle de façon pérenne en inventant de nouvelles façons de collaborer, en rendant disponibles les meilleurs outils, en gérant les équipes efficacement et équitablement, qu’elles soient sur place ou à distance », rappelle Manon Poirier, CRHA, directrice générale de l’Ordre des CRHA.

Certes, les organisations ont l’expérience des confinements et ont été fort agiles depuis mars 2020. « Mais peu d’entreprises peuvent prétendre avoir maîtrisé tous ces aspects jusqu’à maintenant, analyse Manon Poirier. La question de l’équité des relations est particulièrement importante. Les gestionnaires, épaulés par leurs conseillers RH, devront faire attention au biais de proximité et s’assurer de ne pas favoriser les employés qui sont plus présents physiquement. Plus que jamais, il faut gérer selon les livrables, et non pas en fonction de la présence. »

Gare aux conflits de travail qu’apporte le mode hybride. Ils ont été nombreux depuis deux ans, et pas toujours résolus adéquatement. Caroline Senneville, présidente de la CSN, en sait quelque chose. « La gestion de la flexibilité des horaires et les différences dans le traitement du besoin d’autonomie des employés entraînent des bouleversements dans les relations de travail », explique-t-elle.

Avec le travail en mode hybride vient aussi le risque de créer ce que Manon Poirier appelle des « équipes à deux vitesses ». Pour éviter les disparités de fonctionnement entre les membres du personnel en présentiel et ceux et celles en télétravail, il faut s’assurer d’utiliser les outils de la même façon pour tout le monde, et de « trouver des moyens de connexion qui ont du sens pour tout le monde, afin que chacun comprenne son rôle et apporte sa contribution dans le portrait global ».

Encore et toujours la pénurie

Hôtellerie, restauration, secteur du jeu vidéo et de l’intelligence artificielle, aérospatiale, santé, éducation, commerce de détail, secteur manufacturier : à peu près aucun milieu de travail québécois n’est exempt de problèmes de pénurie de main-d’œuvre. Ce qui entraîne, comme première conséquence, une nouvelle dynamique de recrutement et un contexte favorable aux augmentations constantes de la rémunération.

« Les résultats préliminaires de notre enquête annuelle sur les budgets d’augmentation salariale font état de budgets salariaux au-delà des moyennes des dix dernières années, souligne Anna Potvin, CRHA, associée rémunération chez Normandin Beaudry. Auparavant, on ne franchissait jamais la barre des 3 %. Cette année, tout porte à croire qu’on atteindra presque les 4 %. Les entreprises réagissent ainsi à la pénurie, pour rester compétitives. En plus de la pénurie, le contexte postpandémique joue un rôle : beaucoup de travailleurs ont utilisé les deux dernières années pour se réorienter ou ont tiré profit de la généralisation du télétravail pour trouver du travail dans un autre bassin d’organisations, sans égard à leur position géographique. On voit en particulier ce phénomène dans le domaine des TI. »

Conséquence : des salaires élevés, tout autant que des offres de rémunération globale de plus en plus alléchantes, sont devenus la norme. « Les assurances collectives, par exemple, sont devenues l’un des leviers utilisés par les employeurs pour être plus attrayants et fidéliser la main-d’œuvre », selon Frédéric Venne, associé assurance collective chez Normandin Beaudry.

Santé mentale : la grande priorité

« En matière d’assurance maladie, une priorité dans un contexte postpandémique, les assureurs proposent, entre autres, l’accès à la télémédecine, des options flexibles de comptes de gestion de santé, des améliorations de la couverture des soins de santé mentale, précise Frédéric Venne. C’est urgent parce que les réclamations pour des antidépresseurs et des anxiolytiques ont drastiquement augmenté en 2021. On a aussi constaté, peut-être en raison de retards des diagnostics dans le système de santé, une hausse considérable des cas de cancer. »

Par ailleurs, n’allons pas croire que le contexte de pénurie donne entièrement aux travailleurs et travailleuses une situation enviable. Leur paie a augmenté, mais non sans leur faire subir des situations hors norme qui peuvent parfois les écorcher durement. « À la CSN, on constate que la pénurie entraîne sur papier une amélioration des conditions des syndiqués, mais dans le réel des cas d’épuisement dus à la cadence accélérée et aux renouvellements fréquents de personnel, et une augmentation des accidents de travail dus à la surcharge et à la fatigue », précise Caroline Senneville. Tous des facteurs auxquels on doit demeurer vigilant en gestion et dans le monde des RH.

« Des changements à la Loi sur la santé et sécurité invitent d’ailleurs les organisations à adopter de nouvelles normes en matière de santé psychologique, rappelle Manon Poirier. Certes, les organisations ne peuvent pas prendre entièrement sur leurs épaules la question de la santé psychologique, mais elles ont de l’influence sur la charge de travail, la reconnaissance et le soutien aux travailleurs. Elles ne peuvent plus négliger cette question. »

Équité et inclusion : une révolution

Pour le conseiller ou la conseillère RH, contrer la pénurie de main-d’œuvre, c’est aussi repenser ses stratégies de recrutement, selon Manon Poirier. « Dans une société qui est enfin arrivée à remettre ouvertement en cause les difficultés d’intégration des personnes faisant partie de la diversité, les employeurs doivent reconnaître leurs biais et leurs freins dans l’embauche de ces catégories de personnes, revoir leurs fonctionnements, les profils de poste, l’organigramme et l’organisation. Il faut aller le plus loin possible dans cet exercice pour s’assurer d’être attrayant pour tous les bassins de talents. »

C’est aussi devenu l’une des attentes du personnel, comme l’explique Anna Potvin. « En plus de leur salaire et leurs avantages sociaux, les chercheurs d’emploi d’aujourd’hui veulent connaître le positionnement de l’entreprise en matière d’inclusion et d’équité et sur le plan d’engagement dans la société. La fierté d’appartenir à l’entreprise passe désormais par là. »

Pour correspondre à cette nouvelle manière de penser l’organisation et le rapport aux employés et employées, il faut oser poser des questions difficiles. Anna Potvin résume : « Mes processus RH sont-ils inclusifs? Ma façon d’évaluer les performances est-elle éthique et inclusive? Qu’en est-il de l’organisation du travail? De la hiérarchie? »

Il y a du pain sur la planche. Et des défis stimulants pour les conseillers et conseillères RH, qui devront aussi peu à peu s’adapter à d’autres tendances, comme la robotisation et l’intelligence artificielle. « En consultant nos membres cette année, on a découvert que peu d’organisations québécoises avaient vraiment envisagé cette idée pour libérer des employés en contexte de pénurie, conclut Manon Poirier. Mais, il est clair que cette avenue est inévitable et qu’elle va transformer aussi notre profession. »

Philippe Couture est journaliste à l’agence 37e AVENUE.