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Mésentente sur le rendement

Le congédiement d'une adjointe administrative et technicienne comptable est annulé; la réintégration n'est cependant pas ordonnée puisque ses tâches ont été modifiées et qu'elle se trouverait de nouveau en période d'adaptation, et ce, après avoir été congédiée alors qu'elle avait déployé des efforts pour modifier ses méthodes de travail et satisfaire aux attentes.
28 janvier 2025

Intitulé

St-Germain c. Alan Allman Associés Amérique du Nord inc., 2024 QCTAT 3528

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Laval

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail à l'encontre d'un congédiement — accueillie.

Décision de

Maude Pepin Hallé, juge administrative

Date

3 octobre 2024


Décision

La plaignante, qui occupait un poste d'adjointe administrative et technicienne comptable dans une compagnie de location et d'entretien de logiciels depuis 2008, a été congédiée — en 2020, l'entreprise a été acquise par celle de l'employeur — des échéances plus courtes ont alors été imposées pour la production des états financiers mensuels, ce qui a eu une incidence directe sur la prestation de travail attendue de la plaignante — les conditions d'ouverture du recours n'étant pas contestées, l'employeur doit démontrer, au moyen d'une preuve prépondérante, l'existence d'une cause juste et suffisante de fin d'emploi — la plaignante a raison de soutenir qu'on lui reprochait une forme d'insubordination, ce qui est assimilable à un manquement volontaire et appelle une approche disciplinaire, dont une progression des sanctions — elle confirme que l'employeur lui avait retiré des responsabilités et qu'elle en était déçue — elle nie toutefois avoir continué à les assumer en contravention des directives reçues — la plaignante explique qu'elle recevait des demandes d'employés qui n'avaient pas été informés du changement de ses responsabilités — elle les a relayées, mais cela ajoutait à ses tâches — l'employeur ne convainc pas le Tribunal que la plaignante a dérogé à ses instructions — il souligne avoir embauché une personne pour aider la plaignante à rattraper le retard dans son travail — cette dernière a démontré que cette solution lui avait uniquement occasionné des responsabilités additionnelles, ayant notamment dû former la personne, laquelle n'a jamais été autonome et a également été congédiée — l'employeur convient que la plaignante s'est améliorée au départ et qu'elle a rapidement rattrapé 1 mois de retard — toutefois, il allègue que sa progression a été lente par la suite et que ce n'est que 6 mois plus tard qu'elle a fini par respecter les délais — l'employeur ne convainc pas le Tribunal que la plaignante a eu un rendement insatisfaisant pouvant constituer une cause juste et suffisante — au contraire, celle-ci a réussi à satisfaire aux attentes fixées en matière de délais, tandis l'employeur ne lui avait imposé aucun échéancier pour atteindre cette cible — le temps que la plaignante a pris pour y arriver ne peut servir de motif pour la congédier directement, sans autre préavis — l'employeur n'explique pas en quoi le fait que cette dernière ait mentionné chercher un emploi ailleurs ou être démotivée constituerait un motif suffisant de congédiement — il ne prétend pas non plus que cela a altéré le rendement de la plaignante — le délai de congé raisonnable qu'il a offert à cette dernière ne lui est d'aucun secours pour démontrer l'existence d'une cause juste et suffisante de congédiement — la plaignante détenait 15 ans de service continu sans jamais avoir reçu d'avis administratif ni s'être vu imposer de mesure disciplinaire — l'employeur l'a prise de court en la congédiant, alors qu'elle satisfaisait aux nouveaux délais qui lui avaient été imposés — peu importe qu'on le considère comme administratif ou mixte, le congédiement a été fait sans cause juste et suffisante — l'employeur n'a pas démontré que les motifs à la source de ses reproches administratifs et disciplinaires étaient véritables — il n'a pas non plus respecté les critères élaborés par la jurisprudence pour permettre à la plaignante de comprendre que son lien d'emploi était en péril et ne lui a jamais mentionné qu'elle ne répondait toujours pas aux attentes — le motif lié à la démotivation passagère de la plaignante est également déraisonnable, voire arbitraire, dans le cas d'une salariée détenant une quinzaine d'années de service continu — le congédiement est annulé.

La plaignante comme l'employeur estiment la réintégration inappropriée en raison d'une rupture du lien de confiance — le Tribunal n'est pas lié par les déclarations communes des parties — il constate toutefois que le système avec lequel la plaignante travaillait depuis plusieurs années et qui était au coeur de sa fonction a été remplacé par un autre depuis son départ — la nature des tâches de cette dernière serait donc différente si elle était réintégrée — la plaignante se trouverait de nouveau en période d'adaptation dans un milieu de travail où elle a été abruptement congédiée après avoir mis des efforts pour modifier ses méthodes de travail et satisfaire aux attentes — ses appréhensions et sa méfiance seraient susceptibles de nuire à sa prestation de travail, sans compter la rupture du lien de confiance invoquée par l'employeur — la réintégration n'est pas ordonnée.