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Miner de la cryptomonnaie au travail

Un infirmier auxiliaire a commis une faute grave en installant un logiciel sur un ordinateur de l'employeur pour tenter d'y «miner» de la cryptomonnaie; l'une des autres fautes reprochées au plaignant n'ayant pas été démontrée, la suspension sans traitement de 4 mois qui lui a été imposée est réduite à 3 mois.
18 juillet 2024

Intitulé

Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval (CSQ) et Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval (Dimitru Dan Popescu), 2024 QCTA 165

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief contestant une suspension (4 mois). Accueilli en partie; la suspension est réduite à 3 mois.

Décision de

Me Frédéric Tremblay, arbitre

Date

15 avril 2024


L'employeur a imposé une suspension sans traitement de 4 mois à un infirmier auxiliaire auquel il reprochait d'avoir téléchargé sans autorisation plusieurs documents et logiciels sur un ordinateur du département de psychiatrie, notamment dans le but de «miner» de la cryptomonnaie.

Décision

Le plaignant admet avoir téléchargé certains documents durant son quart de travail du 5 avril 2021. Il reconnaît également avoir téléchargé et installé un navigateur Internet afin de contourner les pare-feu du réseau informatique de l'employeur ainsi qu'un logiciel permettant de miner de la cryptomonnaie. Il affirme cependant qu'il ne connaissait pas le règlement ni la politique de l'employeur limitant l'utilisation d'Internet à des fins professionnelles et interdisant explicitement de télécharger tout logiciel sur les postes informatiques de l'établissement. Or, il a été démontré que le plaignant savait très bien qu'il n'était pas autorisé à utiliser le matériel informatique de l'employeur à des fins personnelles puisqu'il l'a reconnu lors d'une rencontre avec ce dernier. La première faute invoquée dans la lettre de suspension est donc démontrée.

Le plaignant reconnaît avoir installé et utilisé un navigateur afin d'accéder aux sites de certains logiciels. Même s'il a été démontré que ce navigateur permet de circuler sur Internet dans l'anonymat, l'employeur n'a pas fait la preuve que le plaignant l'avait téléchargé et utilisé sur l'ordinateur du département à cette fin. La deuxième faute alléguée n'a pas été prouvée.

Enfin, l'employeur reproche au plaignant d'avoir téléchargé une application dans le but de miner de la cryptomonnaie à partir de l'ordinateur du département afin d'en tirer un bénéfice pécuniaire. Il n'y a pas de preuve directe de cette intention, mais l'employeur a prouvé celle-ci par présomption de faits. Il a été démontré que le plaignant utilisait l'application sur son téléphone cellulaire intelligent afin de miner de la cryptomonnaie, qu'il avait téléchargé l'application sur l'ordinateur du département durant son quart du 5 avril 2021 et qu'il avait visité différents forums de discussion afin de savoir si ce qu'il accumulait aurait un jour une valeur pécuniaire et à partir de quel moment ce serait le cas. L'ensemble de ces faits permettent d'inférer que le plaignant a téléchargé et installé des logiciels dans le but de miner de la cryptomonnaie à partir de l'ordinateur du département. Le témoignage de celui-ci à l'effet contraire ne peut être retenu puisqu'il est peu crédible et n'est pas fiable, en plus d'être contredit par plusieurs éléments de preuve. L'argument du syndicat selon lequel le plaignant ne pouvait tirer de bénéfice pécuniaire en accumulant la cryptomonnaie puisque celle-ci n'avait pas de valeur en avril 2021 ne résiste pas à l'analyse. Le plaignant a admis avoir cherché des informations à ce sujet. Manifestement, il a accumulé celle-ci dès avril 2021 dans l'espoir qu'elle ait un jour une valeur pécuniaire, ce qui est finalement survenu en décembre 2023. Le Tribunal considère que l'employeur a démontré que le plaignant avait tenté de miner de la cryptomonnaie à partir de l'ordinateur du département.

La combinaison des fautes et la gravité de celle reliée à la cryptomonnaie justifiaient amplement l'imposition d'une mesure disciplinaire. À elle seule, la tentative de minage de cryptomonnaie permettait d'écarter le principe de la progression des sanctions. Le syndicat invoque plusieurs facteurs atténuants, dont le dossier disciplinaire vierge du plaignant, sa longue expérience et le fait qu'il se soit excusé et qu'il ait reconnu ses fautes à l'employeur dès le 12 avril 2021. Or, le plaignant a uniquement reconnu qu'il n'aurait pas dû utiliser l'ordinateur afin de faire un devoir pour son enfant et naviguer sur Internet à des fins personnelles. Il n'a jamais admis avoir tenté de miner de la cryptomonnaie. Le Tribunal estime que l'absence de remords et de regrets concernant la faute la plus importante est un facteur aggravant. Au surplus, le plaignant minimise grandement ses gestes et les conséquences qu'ils auraient pu avoir et ne fait pas d'introspection. Il a également tenté de camoufler sa tentative de miner de la cryptomonnaie en niant des évidences, et ce, lors de ses rencontres avec l'employeur et de l'audience. Même si les capacités de l'ordinateur n'ont pas été compromises par les démarches du plaignant et qu'il n'y a pas eu de problème de sécurité informatique, il a été démontré que l'installation non autorisée des logiciels aurait pu causer une brèche de sécurité informatique et entraîner de lourdes conséquences financières, organisationnelles et réputationnelles pour l'employeur. Selon le Tribunal, les risques entraînés par les gestes du plaignant comptent plus que l'absence de préjudice pour l'employeur. Dans ce contexte, et compte tenu du fait que l'une des fautes qui ont été prises en compte pour décider de suspendre le plaignant durant 4 mois n'a pas été démontrée, le Tribunal estime qu'une suspension de 3 mois est appropriée.