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Enquête d’employeur et vie privée d’employé

Si un employé doit collaborer à une enquête et répondre aux questions de l'employeur, il faut, lorsque la situation soulève des enjeux qui relèvent de sa vie privée, qu'il sache d'abord si cette enquête est en lien avec la protection des intérêts légitimes de l'employeur.
24 juillet 2024

Intitulé

Association des pompiers de Vaudreuil-Dorion et Ville de Vaudreuil-Dorion (Frédéric Pazzi), 2024 QCTA 218

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief contestant un congédiement. Accueilli en partie; une suspension de 2 mois est substituée au congédiement.

Décision de

Me Marie-Ève Crevier, arbitre

Date

16 mai 2024


L'employeur reproche au plaignant, qui occupait le poste de pompier, d'avoir omis de lui dire la vérité dans le cadre d'une enquête en lien avec sa présence dans un parc public, en dehors de ses heures de travail, à proximité des lieux où était survenu un vol de quais loués par la Ville. Le syndicat fait valoir que le congédiement a été imposé tardivement, que l'enquête de l'employeur portait une atteinte injustifiée au droit du plaignant à la protection de sa vie privée et que la sanction est disproportionnée.

Décision

Le fait de se trouver dans un parc public peut certes conduire une personne à penser que ses gestes peuvent être facilement observés et ainsi réduire ses attentes relatives au caractère privé de ses agissements. Cependant, observer les gestes qu'une personne effectue à la vue de tous n'équivaut pas à l'interroger sur une partie de sa soirée qui n'était pas observable, dont les appels qu'elle a faits et les gens auxquels elle a parlé. L'enquête de l'employeur s'écarte grandement de la seule observation à laquelle une personne peut s'attendre dans un lieu public. Ainsi, la convocation disciplinaire du plaignant, qui l'a contraint à divulguer les motifs de sa présence dans un parc ainsi que les fins détails de ses faits et gestes alors qu'il était en congé, constituait une surveillance de sa vie privée. Cependant, il n'y a pas eu de violation de la Charte des droits et libertés de la personne. En effet, l'enquête de l'employeur ne découle pas de rumeurs et n'a pas été menée sur la base d'une intuition ou de la curiosité. L'employeur avait des motifs raisonnables de penser que le plaignant pouvait avoir été impliqué dans le délit. De plus, son enquête répondait à une préoccupation urgente et réelle, soit la protection de sa propriété et l'importance de ne pas avoir à son service une personne malhonnête. Enfin, l'employeur n'est pas allé au-delà de ce qui était nécessaire pour tenter d'éclaircir la situation, et ce, que ce soit sur le plan de la surveillance ou durant l'interrogatoire. En ce sens, l'atteinte au droit à la vie privée du plaignant était la moins grave possible dans les circonstances.

Par ailleurs, si les mensonges du plaignant ont été démontrés, le congédiement n'était pas approprié. En effet, lors de la première rencontre avec ce dernier, l'employeur a d'abord refusé de lui donner les motifs de l'enquête. Or, si un employé doit collaborer à une enquête et répondre aux questions de l'employeur, il faut, lorsqu'il est question d'enjeux qui relèvent de sa vie privée, qu'il sache si cette enquête est en lien avec la protection des intérêts de l'employeur. Décider autrement reviendrait à dire qu'un employé interrogé sur sa vie personnelle devrait, en tout état de cause, répondre à toutes les questions d'un employeur, aussi intimes soient-elles. De plus, la présence du plaignant au parc n'est associée à aucun geste reprochable de sa part. Il n'a donc pas tenté de cacher une faute qu'il aurait commise dans le cadre de son emploi. Cet élément est un facteur atténuant important. La raison d'être d'un mensonge, sans l'excuser, permet d'évaluer les chances qu'il se répète. Or, en l'espèce, le plaignant s'est en quelque sorte trouvé contraint, lors de la seconde rencontre, de maintenir sa version initiale. Si cette situation ne l'exonère pas d'avoir menti, elle explique son omission de dire la vérité et amenuise incidemment la gravité de la faute ainsi que la probabilité qu'elle se répète. Quant à la sanction appropriée, la gravité objective de la faute dans le contexte de l'enquête menée par l'employeur milite en faveur de l'imposition d'une mesure intermédiaire plutôt que clémente, bien qu'il s'agisse d'un premier manquement. Cette mesure doit lancer le message clair au plaignant que, dans un tel contexte, il a l'obligation de collaborer avec l'employeur et il doit privilégier les intérêts de ce dernier au détriment des siens. En omettant de le faire à la seconde rencontre, alors qu'il savait que l'enquête de l'employeur était légitime, il a commis un geste qui nécessite un signal fort qu'il ne peut récidiver.