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Contredire son employeur

Une représentante aux ventes qui a contredit l'employeur devant un client en affirmant que l'escompte accordé n'était pas le même que dans les soumissions précédentes, entraînant ainsi une perte financière, n'a pas commis une faute suffisamment grave pour rompre son lien d'emploi; une suspension de 1 semaine est substituée à son congédiement et sa réintégration est ordonnée.
15 juillet 2024

Intitulé

Dagenais c. Solaris Québec Portes et Fenêtres inc., 2024 QCTAT 1432 *

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montérégie

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail à l'encontre d'un congédiement — accueillie.

Décision de

Michel Maranda, juge administratif

Date

24 avril 2024


Décision

La plaignante travaillait comme représentante aux ventes pour l'employeur, lequel exploite une manufacture de portes et de fenêtres — ce dernier soutient l'avoir congédiée puisqu'elle aurait commis plusieurs fautes dans l'exercice de ses fonctions, dont certaines qu'il a qualifiées de graves et qui ont rompu le lien de confiance nécessaire à la poursuite du contrat de travail — relativement au premier motif de congédiement, soit l'omission d'effectuer des suivis auprès des clients, la preuve révèle que la plaignante avait déjà reçu un avis disciplinaire écrit à cet égard — le bien-fondé de ce motif n'a donc pas à être analysé — autrement, il s'agirait d'une double sanction — quant au second motif de congédiement, celui-ci vise 3 reproches, soit le non-respect de consignes, la divulgation d'informations confidentielles et le fait d'avoir contredit l'employeur devant un client — l'employeur reproche à la plaignante d'avoir divulgué le pourcentage du taux d'escompte offert lors d'une rencontre avec un client, alors qu'elle avait reçu la consigne de ne pas y faire référence — l'employeur affirme que tous ses employés sont informés de cette consigne lors de leur formation et que cette restriction est indiquée sous forme de règlement d'entreprise dans le «Guide de l'employé» — ces prétentions ne sont pas retenues — d'une part, même si ce guide mentionne que les listes de prix et les crédits des entreprises sont des informations confidentielles, il faut interpréter l'obligation de confidentialité comme visant les chiffres figurant dans les listes de prix et les pourcentages des taux d'escompte accordés aux clients — or, la plaignante explique qu'elle savait que ces éléments étaient confidentiels et qu'elle ne les a jamais révélés au client — elle témoigne avoir toujours utilisé le concept de l'escompte comme un argument de vente depuis son embauche chez l'employeur — il s'agit d'une nuance importante — la plaignante ne nie pas que la formation offerte par l'employeur imposait de respecter une obligation de confidentialité quant aux listes de prix et aux crédits accordés, mais pas au point de ne pouvoir invoquer le concept d'«escompte» dans le sens où cela permettait d'accorder un rabais à un client — en ne chiffrant jamais le pourcentage du taux d'escompte, la confidentialité des listes de prix était respectée — la preuve a d'ailleurs révélé que le concept d'«escompte» est utilisé par l'employeur dans ses discussions avec ses clients, et ce, même s'il prétend le contraire — il ne fait cependant aucun doute que la plaignante a contredit l'employeur devant le client en affirmant que l'escompte n'était pas le même que dans les soumissions initiales — le débat n'est cependant pas de déterminer si la plaignante a dit la vérité, ce qui est d'ailleurs le cas — la faute est plutôt liée à la négligence de celle-ci — en effet, elle n'a pas suivi la dynamique de négociation durant l'heure ayant précédé le moment où elle a contredit l'employeur — elle n'a pas suivi les consignes et elle a fait preuve d'insubordination — elle aurait dû comprendre l'approche de l'employeur dans ces circonstances et être solidaire — par ses agissements, elle l'a humilié en le faisant passer pour un menteur aux yeux du client et a manqué à son obligation de loyauté à son égard — quant à savoir si cette faute constituait une cause juste et suffisante de congédiement, l'avis disciplinaire ne peut être considéré comme un facteur aggravant puisque cette sanction a été imposée après la rencontre avec le client — l'employeur soutient que le comportement de la plaignante a entraîné des pertes financières de 30 000 $ — or, selon l'enregistrement de la rencontre, il s'agit plutôt d'une perte de 10 000 $ — il s'agit d'un facteur aggravant, mais celuici ne correspond pas aux affirmations exagérées de l'employeur — en outre, la divulgation des informations confidentielles ne peut être retenue comme un facteur aggravant puisque la plaignante n'a pas commis cette faute — il faut également relativiser le poids à accorder à l'humiliation subie par l'employeur — ce qui s'est passé était choquant et était aussi de nature à nuire à la réputation de l'employeur — ce dernier a toutefois rapidement réussi à rattraper la situation et à poursuivre la négociation — dans ce contexte, il faut retenir que la réaction du client, qui a su que son escompte n'était plus le même, s'inscrivait dans un continuum de tactiques utilisées dans le but d'abaisser le prix de vente des produits de l'employeur — même si ce dernier considérait les agissements de la plaignante comme une trahison, la preuve révèle que ceux-ci ne l'ont pas alarmé outre mesure avant qu'il ne prenne la décision de la congédier 1 semaine plus tard — une fois l'entente conclue sur le prix de vente à la fin de la rencontre, l'employeur a d'ailleurs quitté la salle en laissant la plaignante seule avec le client — ces agissements incohérents sont considérés comme un facteur atténuant qui milite contre la rupture irrémédiable du lien de confiance invoquée par l'employeur — compte tenu des reproches retenus et des circonstances du dossier, l'employeur n'avait pas une cause juste et suffisante pour congédier la plaignante — cette décision était abusive et déraisonnable — une suspension disciplinaire de 1 semaine aurait suffi pour faire comprendre à la plaignante sa faute et lui permettre de s'amender — sa réintégration est ordonnée.