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Le processus d’enquête en matière de harcèlement

La gestion d’un processus d’enquête en matière de harcèlement peut susciter plusieurs interrogations, notamment quant à la manière dont il sera mis en place.

25 mars 2013
Marie-Josée Douville, CRHA

Cette réflexion devrait initialement avoir pris son ancrage dès les premières étapes de la rédaction de la politique sur le harcèlement, et ce, afin de bien déterminer l’orientation que l’entreprise souhaite prendre. Il faudra d’abord décider si ce processus sera réalisé à l’interne ou à l’externe. Quelle que soit l’option choisie, elle comportera des avantages et des inconvénients. En voici quelques exemples.

Processus d’enquête interne

Avantages

  • Démarche plus rapidement mise en place.
  • Connaissance de la culture et des divers modes de fonctionnement de l’entreprise (cet avantage pourrait devenir un inconvénient dans certains cas, car il devient difficile de prendre du recul).
  • Coûts et investissements moindres.

Inconvénients

  • Perception possible d’un conflit d’intérêts.
  • Non-reconnaissance des conclusions de l’enquête.
  • Perte du lien confiance influencé par le double rôle exercé.
  • Temps alloué au traitement à l’enquête, qui doit être partagé avec les autres priorités quotidiennes.
  • Difficulté de coordonner les agendas lorsqu’il faut mettre en place un comité de traitement des plaintes.

Processus d’enquête externe

Avantages

  • Apparence de neutralité et d’impartialité.
  • Excellente connaissance des lois applicables et recours à une méthodologie procédurale bien établie.
  • Maîtrise des règles et des techniques d’enquête.
  • Habileté à rédiger le rapport, qui pourrait être utile si d’autres recours étaient intentés.

Inconvénients

  • Investissement financier important.
  • Disponibilité de l’enquêteur.
  • Possibilité d’avoir affaire à des imposteurs qui s’improvisent enquêteurs.

Si on opte pour un processus d’enquête externe, il est essentiel établir rapidement une banque d’enquêteurs potentiels, avant même le dépôt d’une première plainte, et de connaître leurs approches. Il ne faut pas se limiter à un seul enquêteur.

Il se peut que seule la question budgétaire compte. Dans ce cas, il est important de bien encadrer la personne responsable du dossier par une définition claire de son mandat. Il faut éviter de désigner le supérieur immédiat comme intervenant en matière d’enquête. Effectuer une enquête et procéder au suivi quotidien par la suite, voilà qui peut générer une confusion des rôles et qui pourrait entacher la qualité de la relation professionnelle.

Il est important également d’impliquer les délégués syndicaux. Ceux-ci sont des mines d’information et peuvent apporter un appui de taille dans la mise en place d’une telle démarche et dans le suivi éventuel.

Flexibilité du processus

Le dépôt d’une plainte formelle devrait automatiquement déclencher une évaluation de sa recevabilité. C’est lors de cette étape préliminaire que sera validée la nécessité de procéder ou non à une enquête formelle. À cet effet, même si on opte pour un processus d’enquête externe, rien n’empêche d’effectuer cette étape initiale à l’interne.

Plusieurs entreprises choisissent d’ailleurs d’évaluer elles-mêmes la recevabilité de la plainte, considérant la dimension technique du processus, soit la vérification de la présence d’éléments bien définis :

  • la confirmation de l’accessibilité au recours par la présumée victime;
  • le respect du délai de dépôt de plainte (90 jours suivant le dernier événement);
  • la présence des critères propres à la définition de la Loi :
    • conduite vexatoire;
    • caractère répétitif ou geste unique grave;
    • conduite hostile ou non désirée;
    • effets générés dans le milieu de travail.

Limites de l’enquête

Que l’enquête soit interne ou externe, elle comporte certaines limites à ne pas négliger.

  1. Il est rare que la finalité d’une enquête serve également les parties impliquées. Souvent, elles repartent très perplexes devant les résultats. Parfois, pour certaines parties, la dimension émotionnelle n’a peut-être pas été reconnue à sa juste valeur.
  2. La dimension confidentielle du processus donne l’impression de priver d’informations l’une ou l’autre des parties impliquées. Certaines expriment clairement le désir d’être saisies de la totalité du rapport et des mesures prises auprès de l’autre partie en alléguant qu’elles veulent juger du sérieux du processus. Il semble donc planer un éternel vent d’insatisfaction entre ce que la présumée victime souhaiterait dire et ce qui est entendu en enquête. C’est une belle occasion de proposer la médiation, et ce, même si l’enquête est finalisée.

Conclusion

Il est important de ne pas négliger la dimension prévention qui découle des obligations organisationnelles en vertu des dispositions à la Loi sur les normes du travail. Il est démontré qu’une personne sur deux impliquée dans un processus d’enquête finira par quitter l’entreprise ou par voir son lien d’emploi modifié. N’est-ce pas cher payé au bout du compte, quand on pense à tous les bons employés impliqués malgré eux dans ce mécanisme? C’est pourquoi l’investissement dans la prévention, qui doit débuter par une sensibilisation à grande échelle afin de démystifier ce qu’est le harcèlement, est toujours positif et rentable. 

Applications pratiques

Comportements à privilégier par le gestionnaire

  • Agir rapidement lorsqu’on est au fait d’une situation à potentiel conflictuelle. Faire le point avec les personnes sur ce qu’on a pu observer ou exercer un suivi attentif auprès de certaines personnes qui s’opposent régulièrement.
  • Porter une attention particulière à la dynamique des rencontres d’équipe, qui sont souvent un incubateur à conflits. Ne pas tolérer des comportements et des agissements inappropriés. La tolérance zéro doit être exercée de façon constante et cohérente.

Comportements à privilégier par le professionnel RH

  • S’assurer d’outiller les gestionnaires, qui sont trop souvent démunis ou malhabiles à exercer leur rôle de gestion.
  • Mettre en place un processus d’intervention qui donne l’opportunité d’agir sans que son rôle ou sa légitimité soient mis en doute. Il importe de s’approprier une formule qui corresponde aux pratiques organisationnelles et culturelles. 

Pour aller plus loin

  • Sigouin, M.-J. et L. Bernier. Comment traiter une plainte de harcèlement psychologique, LeCorre en bref,  Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2007.
  • Cantin, I. et J.-M. Cantin. Politiques contre le harcèlement au travail et réflexions sur le harcèlement psychologique, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2004.

Au sujet de l’auteur

Marie-Josée Douville, CRHA est consultante principale et médiatrice chez Drolet Douville et associés inc. Elle se spécialise en gestion de conflit, principalement dans le domaine du harcèlement psychologique. On peut la joindre par téléphone [418 681-6007 ou 1 800 966-1611] ou par courriel [mjdouville@drolet-douville.com].


Marie-Josée Douville, CRHA