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Activités réservées : de nouvelles avenues pour la profession

Des actes professionnels doivent-ils être réservés aux CRHA et aux CRIA? L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés se lance dans une vaste réflexion en vue d’établir si la protection du public est en jeu dans l’exercice de certaines pratiques liées à la profession.

7 juillet 2014
Etienne Plamondon Emond

Dans un premier temps, l’Ordre a entrepris de moderniser la description légale du champ d’exercice des CRHA et CRIA. Ce texte n’avait pas été révisé depuis 1973, soit depuis son inscription au sein du Code des professions. « C’est un texte qui n’avait pas évolué et qui ne décrivait pas la profession dans sa complexité actuelle, indique Sarah Thibodeau, avocate. C’est comme si nous avions rafraîchi une définition qui ne positionnait pas très bien la profession sur le marché des services professionnels aux entreprises et à toute autre forme d’organisation. »

La fusion des ordres comptables, qui s’est concrétisée en 2012, a été un déclencheur de cette démarche visant à tenir compte de l’évolution de la profession. « En fusionnant, les ordres comptables ont aussi modernisé la description de leur profession, rappelle Me Thibodeau. Comme nos champs d’exercice se chevauchent, nous nous sommes dit qu’il ne pouvait pas y avoir un système à deux vitesses chez les professionnels œuvrant dans les entreprises, soit une profession comptable avec un champ modernisé qui reflète bien la pratique, et une profession en ressources humaines dont la description ne colle plus à la réalité. »

Comme résultat, l’Ordre a dévoilé en février dernier que l’Office des professions du Québec allait recommander une nouvelle description du champ d’exercice des CRHA et CRIA au ministre de la Justice. En gros, ce nouvel énoncé fixe comme finalité de la profession l’optimisation de la performance et de la saine gouvernance de toute organisation, en établissant et en maintenant un milieu de travail sain. Le texte aborde la gestion, la négociation, le conseil et l’élaboration de stratégies en énumérant toutes les spécialités de la profession, comme les relations du travail, les politiques publiques de l’emploi, le développement des compétences, la rémunération, le développement organisationnel, la dotation ainsi que la santé, la sécurité et le mieux-être au travail.

Et maintenant, des actes réservés?
Mais dans la foulée, une autre question a été soulevée : des gestes professionnels devraient-ils être réservés aux membres de l’Ordre afin de mieux protéger le public? La question est lancée. En consultant ses membres et en effectuant diverses analyses, l’Ordre cherche à découvrir si des risques de préjudice justifient que certaines activités bien ciblées leur soient réservées. « Ce qu’on va chercher comme type d’activités, ce sont des gestes qui ont un impact sur le plan financier, qui menacent un droit ou qui peuvent comporter un risque psychologique, précise Me Thibodeau. C’est important de faire l’exercice, parce qu’il se peut que nous trouvions des secteurs où il y a un risque pour le public. Et nous voulons, comme ordre professionnel, encadrer ces risques-là. […] Peut-être qu’à la fin, il sera établi qu’il n’y a pas d’activité pour laquelle il est possible d’identifier un risque suffisamment grand et concret pour qu’elle soit réservée, mais nous nous devons de faire l’exercice. »

François Bernard Malo, CRHA, professeur agrégé en relations industrielles à l’Université Laval, juge d’ailleurs qu’un titre réservé est aujourd’hui insuffisant pour la profession. « Ça peut envoyer un message à l’effet qu’il ne faut pas travailler avec n’importe qui et qu’il faut essayer de travailler avec quelqu’un qui porte le titre. Mais c’est clair que ce n’est pas assez, dit-il. La preuve, c’est qu’aujourd’hui, il y a des gens dans les organisations qui font du recrutement et de la sélection de personnel de manière inadéquate. On sait très bien pourquoi: c’est entre autres parce qu’ils n’ont jamais étudié dans ce domaine. Malheureusement, ils continuent de le faire, parce que les gens leur en donnent l’autorisation. »

Le recrutement: un enjeu crucial
Le recrutement constitue, selon le professeur Malo, un enjeu crucial dans la question des actes réservés. « C’est là que se tisse la première relation entre le chercheur d’emploi et l’organisation. À mon avis, c’est là que peuvent être commises les erreurs les plus importantes. » Les répercussions peuvent être d’ordre économique pour l’employeur, insiste-t-il, pour qui embaucher la mauvaise personne peut s’avérer un choix très coûteux. Le professeur parle aussi d’un impact social, particulièrement dans le cas de candidats victimes de discrimination.

Pour illustrer son propos, monsieur Malo évoque certaines façons de faire, pourtant prohibées, encore utilisées à l’étape du recrutement. Demander à une femme, en entrevue, si elle envisage d’avoir un bébé dans les mois à venir, poser des questions sur la situation familiale d’un candidat ou exiger de joindre une photographie au curriculum vitæ sont quelques exemples cités par le professeur. « Tout cela est interdit par la loi. C’est un problème dans la mesure où les gens qui posent ces questions n’ont souvent pas conscience qu’elles sont interdites. Pourquoi? Entre autres parce qu’ils ne sont pas formés dans le domaine. »

Des réactions chez les membres...
La nouvelle relative aux actes réservés, publiée par l’Ordre plus tôt cet hiver, a fait réagir les CRHA et CRIA, notamment dans les médias sociaux de l’Ordre.

Le congédiement : à encadrer
Par exemple, des membres ont réclamé que certains gestes professionnels soient réservés, particulièrement ceux qui sont reliés à la façon d’effectuer des congédiements. Selon eux, il y a des aspects légaux rattachés au licenciement. Et pour ce qui est du congédiement, on a vu des cas où ce n’était pas fait dans les règles de l’art, ce qui a eu des répercussions autant sur l’entreprise que sur l’individu congédié.

Le climat de travail peut devenir néfaste lorsqu’un congédiement est réalisé sans avis, sans évaluation du rendement, sans mesures administratives ou sans explications claires auprès de la personne concernée ou des membres de l’équipe. La réputation de l’employé congédié et celle de l’entreprise peuvent en sortir entachées, sans parler des impacts psychologiques sur celui qui a perdu son emploi.

Mais encadrer cette activité et en faire un acte réservé ne sera pas chose facile. D’abord, il y a l’indépendance de l’entreprise. Puis, quand un individu dit qu’il a subi un préjudice lors de son congédiement, la Commission des normes du travail entre en scène. On peut anticiper bien des discussions concernant ce type d’acte professionnel.

La santé et la sécurité du travail: un acte à partager?
Quant à Gilles Rousseau, CRIA, directeur, santé et sécurité chez Metro inc., son souci est plutôt que des membres de l’Ordre pourraient être empêchés de réaliser un geste parce qu’une interprétation trop large ou erronée de l’étendue du champ d’intervention d’une autre profession est faite. En d’autres mots, il veut éviter qu’une autre profession s’arroge certaines activités non réservées qu’un CRHA ou un CRIA peut exercer.

La Loi sur les ingénieurs, par exemple, détermine que la sécurité du public et des employés par rapport à une machine relève de la responsabilité des membres de l’Ordre des ingénieurs. M. Rousseau reconnaît la pertinence de ce mécanisme en ce qui concerne les éléments internes d’une machine, comme ses circuits électriques ou sa robotique. Mais il déplore d’avoir déjà été dans l’impossibilité de poser un garde-corps tant que ce n’était pas approuvé par un ingénieur.

« Dans l’organisation du travail, on tombe dans un volet beaucoup plus large, argue-t-il. Il n’y a pas que des ingénieurs qui font de l’analyse de risque. Il y a plein de gens qui en font. » Il met en garde contre le travail en vase clos et prône la multidisciplinarité. « La santé et la sécurité doivent-elles être réservées à des gens qui sont CRHA ou CRIA? Ma réponse serait non. De la même manière, l’emploi de spécialiste en santé et sécurité, puisqu’on parle de gestion de risque, ne devrait pas être réservé strictement à des ingénieurs », indique-t-il.

Un acte réservé, qu’est-ce que c’est?
Le principal critère pour déterminer si un geste professionnel doit être réservé est le risque de préjudice pour la population lorsque cet acte n’est pas effectué selon les règles de l’art et de la science, explique-t-on à l’Office des professions du Québec. Un acte est réservé lorsque le gouvernement ou le législateur juge, après certaines démonstrations, qu’il est important pour la sécurité du public que seuls les membres d’un ou de plusieurs ordres professionnels puissent le poser. Certains ordres ont toujours eu des actes réservés, tandis que d’autres, comme l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, n’en ont jamais eu jusqu’à maintenant. La complexification d’une profession constitue souvent l’un des facteurs menant à l’entérinement de nouveaux actes réservés. Les travaux actuels à l’Office des professions du Québec, en vue de proposer éventuellement des solutions ou des modifications au gouvernement, touchent les conseillers en ressources humaines agréés, mais aussi les administrateurs agréés et les évaluateurs agréés.

Etienne Plamondon Emond, journaliste indépendant

Source : Effectif, volume 17, numéro 3, juin/juillet/août 2014.


Etienne Plamondon Emond Journaliste indépendant