ressources / relations-travail

La formation sur l’enquête interne en cas de harcèlement psychologique : quelques heures bien investies!

Une enquête interne en cas de harcèlement psychologique peut représenter une étape floue pour les employés. L’entreprise peut donc organiser une formation pour clarifier cette approche. Cet article fait un tour d’horizon de ce que représente une telle formation tant pour les employés que pour les employeurs.
4 septembre 2024
Me Isabelle Cantin, CRHA

C’est en répondant systématiquement aux mêmes questions ou en faisant leur bilan de fin d’année que des organisations constatent que leurs employés ne savent pas toujours à quoi s’attendre si une enquête interne est déclenchée en vue de déterminer le bien-fondé d’une plainte pour harcèlement au travail. Dans une optique d’efficacité et souvent d’harmonisation des approches dans le cas d’entreprises ayant plusieurs établissements, certaines organisations ont donc élaboré une formation plus pointue. Or, ce genre de formation, perçue comme une pratique d’amélioration du climat de travail, constitue un bon investissement et s’inscrit désormais dans le cadre des obligations légales imposées par les modifications apportées à la Loi sur les normes du travail par le Projet de loi 42 intitulé Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, 2024, c. 4, sanctionnée le 27 mars 2024[1].

Comment ces entreprises ont-elles mené un tel projet à terme?

Planification d’une session de formation

La planification d’une session de formation présuppose l’examen de la politique sur le harcèlement et des problématiques rencontrées. Cet exercice permet de voir si la politique est adéquate et, le cas échéant, de déterminer les correctifs nécessaires.

Plusieurs entreprises ont ainsi réalisé que leur politique était muette ou incomplète au sujet des points suivants :

  • les délais pour porter plainte et traiter les plaintes;
  • le droit (voire l’obligation) d’intervenir lorsqu’un problème de harcèlement psychologique est porté à la connaissance de l’employeur, dès lors qu’il existe un motif raisonnable de croire qu’il y a eu harcèlement psychologique, même en l’absence de plainte;
  • l’analyse de la recevabilité de la plainte et le déroulement de cette étape;
  • la possibilité, si cela est approprié, de participer, en tout temps, à une médiation afin de tenter de trouver une solution à la problématique;
  • le droit pour les parties[2], lors d’une enquête interne par exemple, d’être accompagnées par un observateur de leur choix, autre qu’une personne appelée éventuellement à intervenir à titre de témoin;
  • le déroulement du processus d’enquête, y compris le rôle de l’enquêteur, des parties et des témoins ainsi que, le cas échéant, des représentants syndicaux;
  • l’étendue des informations que les parties et les témoins recevront avant, durant et après l’enquête interne;
  • les conséquences en cas de représailles (à l’endroit d’une personne de bonne foi) reliées à l’application de la politique ou à la participation au processus de traitement d’une plainte.

À qui s’adresse la formation?

Les entreprises jugent en général préférable de former les personnes-ressources en premier lieu, puis les gestionnaires et les employés. Concernant ces derniers, certaines privilégient la formation en grand groupe, tandis que d’autres créent plusieurs petits groupes qu’elles subdivisent selon le statut des employés (syndiqués, non syndiqués, salariés et employés cadres).

Plusieurs facteurs peuvent influencer de telles décisions, dont la disponibilité du formateur et des employés ainsi que les coûts. Chacune des options comporte aussi des avantages et des inconvénients. L’avantage le plus intéressant dans un groupe non divisé est sans contredit le fait que tous les participants reçoivent les mêmes informations au même moment. Par contre, plus le groupe est grand, moins les personnes sont susceptibles d’interagir avec le formateur. Quelques entreprises ont aussi constaté que certains participants hésitent à poser des questions en présence de leur supérieur.

Déterminer le format et la durée

Pour être intéressante, une formation doit comporter un volet théorique et un volet pratique. Le formateur expérimenté doit se renseigner au préalable sur l’organisation et ses valeurs de façon à donner une formation taillée sur mesure en fonction de l’environnement de l’entreprise. Le « copier-coller » n’a donc pas sa place! Il doit aussi savoir capter l’attention des participants en donnant des exemples de cas jurisprudentiels pour illustrer ses propos. Un bref rappel des principes de base est généralement fait pour s’assurer que tout le monde est au diapason. On peut préparer un jeu-questionnaire ou présenter une capsule vidéo illustrant une mise en situation. En ce qui concerne les personnes-ressources, bien qu’une séance d’une journée puisse être instructive, une demi-journée s’avère un bon compromis, quitte à leur donner une autre formation plus tard, sur des éléments plus pointus ou sur les sujets qui ont suscité le plus de questions. En général, pour les gestionnaires et les salariés, un bloc de formation d’environ 1 h 30 est suffisant.

Ce sur quoi il faut insister

Parmi tous les points d’intérêt, c’est le déroulement de l’enquête interne qui a, en général, suscité le plus de questions de la part des employés. La politique devrait par ailleurs intégrer le processus de prise en charge et d’enquête interne qui respecte les normes reconnues. Il faut aussi s’assurer que les personnes-ressources comprennent ce processus, que les employés sachent à quoi s’attendre et qu’ils puissent poser des questions et recevoir des réponses. Par exemple, certaines entreprises ont informé leurs employés sur les points suivants :

  • qui est susceptible de mener une enquête interne;
  • combien de temps peut durer une enquête interne;
  • quels renseignements seront requis de la partie plaignante;
  • quels renseignements seront communiqués à la partie mise en cause ou, au besoin, aux témoins;
  • comment les parties seront convoquées, quand et par qui;
  • où se dérouleront les rencontres individuelles et qui peut les accompagner, si désiré;
  • comment les déclarations seront recueillies et quel genre de preuve les parties, et le cas échéant, les témoins, pourront présenter ou déposer;
  • qui choisira les témoins et comment et par qui ils seront convoqués;
  • ce qu’il faut savoir au sujet de la confidentialité;
  • qui aura accès au rapport d’enquête;
  • qui fera les suivis.

Il est particulièrement important de définir à l’avance le cadre de l’enquête interne et de s’assurer que ce cadre tienne compte des droits de chacun. On ne peut pas improviser quand il s’agit d’un processus aussi sérieux qu’une enquête interne, et chaque étape a son importance. Ce constat ressort d’ailleurs d’une décision arbitrale récente[3] dans laquelle le syndicat a formulé trois griefs contre l’employeur. Il reprochait à ce dernier, entre autres, de ne pas avoir fourni à une employée un milieu de travail sain et d’avoir exercé à son égard du harcèlement psychologique, notamment en abusant de ses droits de direction en lui faisant subir un processus d’enquête non justifié après la tenue d’une analyse de recevabilité. Dans cette affaire, les griefs ont été accueillis. Parmi les points essentiels de cette décision, retenons en particulier, comme le souligne l’arbitre, qu’avant d’aller de l’avant avec une enquête, il est important d’identifier ce qui est reproché et qui fait les reproches, et qu’il est préoccupant, en l’absence de plainte officielle ou du moins d’allégations sérieuses, qu’un processus ait été lancé et ait franchi le seuil de la recevabilité sur la foi de suppositions, voire de pressentiments sans faits à son soutien[4]. On peut également retenir de l’ensemble de la jurisprudence dans les cas où des enquêtes internes ont été remises en question que les points suivants sont importants :

  • le respect des règles énoncées dans la politique interne;
  • l’indépendance et l’impartialité de l’enquêteur (attention au conflit d’intérêts apparent, perçu ou réel);
  • la divulgation des allégations à la partie mise en cause (pour lui permettre de se préparer et de faire valoir son point de vue sur ce qui lui est reproché);
  • la diligence;
  • les idées préconçues ou les conclusions tirées de manière prématurée;
  • l’examen rigoureux de l’ensemble de la preuve (testimoniale et documentaire);
  • la rigueur;
  • l’évaluation de la crédibilité des témoins déclarants (par exemple, le degré de connaissance des faits, la connaissance directe ou indirecte des faits, la relation entre le témoin et les parties, le degré de précision, les contradictions, les problèmes de mémoire, le degré de collaboration, les comportements durant l’entrevue);
  • le nouvel interrogatoire, au besoin, ou la clarification des faits.

Conclusion

Pour respecter les obligations légales, les employeurs doivent créer un milieu de travail exempt de harcèlement en prenant des mesures raisonnables pour prévenir le harcèlement et, le cas échéant, pour le faire cesser. Il n’est plus suffisant de se contenter d’élaborer une politique succincte et de la remettre aux employés. Le contenu minimal d’une politique est désormais codifié à l’article 81.19 de la LNT modifié, comme mentionné, par le PL 42, et il faudra mettre les bouchées doubles, car il reste peu de temps pour s’y conformer. Serez-vous prêts pour honorer l’échéance du 27 septembre 2024?

Effectif, volume 12, numéro 1, janvier/février/mars 2009.

Révisé en juillet 2024 


Me Isabelle Cantin, CRHA Avocate Isabelle Cantin

Source :

VigieRT, septembre 2024


1 L’article 18 (2) qui entrera en vigueur le 27 septembre 2024 [article 46(1)] modifie l’article 81.19 de la LNT en stipulant que la « politique doit entre autres prévoir : […] 2) les programmes d’information et de formation spécifiques en matière de prévention du harcèlement psychologique qui sont offerts aux personnes salariées ainsi qu’aux personnes désignées par l’employeur pour la prise en charge d’une plainte ou d’un signalement […] et 6) le processus de prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, incluant le processus applicable lors de la tenue d’une enquête par l’employeur […] ».
2 Notons que les témoins ne sont habituellement pas accompagnés.
3 Syndicat du personnel enseignant du campus de Saint-Lawrence et Cégep Champlain-St-Lawrence, 2024 Canlii 42524 (QC SAT), 5 juin 2024.
4 Paragraphes 150 à 152.