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Quand le respect disparaît… Une problématique larvée

Roberto Rossi*, CRHA, est conseiller en ressources humaines dans une PME. Récemment, il a été témoin d’un échange verbal peu respectueux entre Francis et Angélique, employés du service à la clientèle. Quelques semaines auparavant, certains employés lui avaient mentionné que le moral des troupes était à la baisse. Roberto juge que les propos entendus entre Francis et Angélique sont inacceptables et craint que cet esclandre ne soit la manifestation d’une problématique larvée et plus grave. Mais il mène actuellement plusieurs dossiers prioritaires pour la direction et craint d’être empêché de mener ses mandats à bien s’il prend cette situation en charge.
* Nom fictif

4 juillet 2013
Fanie Dubuc, CRIA, Avocate | Anne-Hélène Gervais, CRHA

L’éclairage déontologique

Faire cesser l’incivilité : un devoir prioritaire

Par Me Fanie Dubuc, CRIA, coordonnatrice, affaires juridiques et réglementaires, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Roberto pressent l’existence d’une problématique affectant les relations entre les employés, car il a été témoin d’échanges verbaux agressifs. Un dilemme se présente à lui : doit-il intervenir relativement à cette problématique d’incivilité ou privilégier la réalisation des dossiers prioritaires qui auront des retombées avantageuses pour lui?

D’entrée de jeu, rappelons que Roberto, à titre de CRHA, doit tenir compte de la protection de la santé mentale et physique des employés. De plus, il doit subordonner son intérêt personnel à celui de son client qui, dans cette situation, est son employeur. Il a le devoir d’analyser la situation plus en profondeur et... d’agir de manière à ce que les activités et les ressources humaines de l’entreprise ne soient pas minées par un environnement néfaste.

Roberto doit également se rappeler que les employés peuvent aussi être ses clients. Il est le gardien des bonnes pratiques et du respect des lois touchant les conditions de travail. Là encore, ses objectifs personnels ne doivent pas passer avant le bien-être des employés.

En effet, les employés ont le droit de travailler dans un environnement sain et sécuritaire, qui respecte leur dignité. Pour ce faire, toutes les formes de violence – comportements hostiles, menaces, harcèlement, excès verbaux ou agressions physiques – qui font qu’une personne se sent menacée ou agressée dans son contexte de travail doivent être prohibées.

Roberto doit respecter la loi, mais il doit aussi s’assurer que sa cliente, l’entreprise, remplit ses obligations d’employeur concernant le manque de savoir-vivre ou de civilité dans le milieu de travail. L’incivilité, ce sont des comportements qui ne peuvent pas être qualifiés de harcèlement en vertu des critères de la Loi sur les normes du travail, mais qui atteignent la dignité des individus. L’employeur a le devoir de prendre les moyens raisonnables pour fournir des conditions de travail qui respectent la santé, la sécurité, l’intégrité physique et la dignité de ses employés. C’est ici que Roberto pourra exercer son rôle de conseil et de partenaire stratégique; en exposant la situation à la direction, il s’efforcera d’obtenir son adhésion à des mesures concrètes pour faire cesser les comportements déplacés entre collègues.

L’intervention de Roberto, à titre de CRHA, est tout à l’avantage de son entreprise. Ses compétences professionnelles, jointes à ses obligations déontologiques, constituent une plus-value indéniable pour l’organisation.

À retenir

  • Le membre doit tenir compte de la protection de la santé mentale et physique des personnes sous son autorité ou sa supervision (article 6 du Code de déontologie).
  • Le membre doit faire preuve de désintérêt et d’indépendance en subordonnant son intérêt personnel à celui du client (article 14 du Code).
  • Le membre doit éviter toute attitude ou méthode susceptibles de nuire à la réputation de la profession et à son aptitude à servir l’intérêt public. Il doit éviter d’avoir recours à des pratiques discriminatoires, frauduleuses ou illégales et refuser de participer à de telles pratiques (article 12 du Code).

Pour aller plus loin… Des lectures en lien avec cette chronique, les extraits pertinents du Code de déontologie et divers compléments d’information se trouvent dans le portail de l’Ordre.


L’éclairage du professionnel

Agir à tout prix!

Par Anne-Hélène Gervais, CRHA, conseillère en ressources humaines, Ville de Montréal

Roberto ne peut pas ignorer la situation : il doit s’assurer que les moyens nécessaires sont mis en œuvre pour assurer la santé mentale et physique des employés. Il doit agir avec tact et discrétion et faire preuve de neutralité avec ses interlocuteurs, afin que l’objectivité de ses conseils et de sa démarche – donc sa crédibilité – ne puisse pas être remise en question.

Tenons pour acquis que Roberto a procédé à un diagnostic organisationnel et qu’il dispose d’un bon portrait du climat de travail : cette étape est essentielle, car elle conditionne la nature des interventions suivantes.

Suite de la démarche

  • Rencontrer Francis et Angélique afin d’obtenir des explications et leur apporter soutien et conseil, tout en impliquant leur gestionnaire. Préparer ces rencontres en se fixant un objectif clair à chaque étape. Une fois ce cadre établi, porter attention à la dimension humaine de l’approche (écoute, respect et absence de jugement). Signifier la responsabilité de chaque employé dans le maintien d’un bon climat de travail et solliciter leur contribution pour trouver des solutions. Être attentif au non-verbal de son interlocuteur, manifester de l’ouverture et adapter ses questions selon les informations qui lui seront communiquées. Finalement, adapter le suivi selon la nature et la complexité de la problématique.
     
  • Rencontrer son directeur afin de l’aider à communiquer une vision relative au respect et à la civilité en milieu de travail et de s’assurer de sa mise en œuvre:
    •  faire part de la situation constatée, des risques et des impacts, tant pour l’organisation que pour les individus;
    • rappeler au directeur sa responsabilité de fournir un environnement de travail sain et le fait que les gestionnaires doivent gérer les comportements de leurs employés en plus de leur rendement : son rôle est de les aider à y parvenir;
    • proposer des actions concrètes pour améliorer la situation (formation des gestionnaires et des employés sur la civilité, groupes de discussion, implication des employés dans l’élaboration d’un code de civilité);
    • demander au directeur un mandat clair, connu de tous, pour accompagner les gestionnaires et employés dans cette démarche d’amélioration du climat de travail : proposer une démarche de collaboration, d’information et de consultation à tous les niveaux de l’entreprise (prendre le temps d’écouter, de consulter).
       
  • Au besoin, solliciter les services d’intervenants spécialisés en problématiques de climat de travail.

En se montrant ainsi proactif, Roberto pourra obtenir le soutien et l’engagement clair de sa direction dans cette démarche et bien remplir son rôle de conseiller en ressources humaines.


Fanie Dubuc, CRIA, Avocate coordonnatrice, affaires juridiques et réglementaires Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Anne-Hélène Gervais, CRHA conseillère en ressources humaines Ville de Montréal

Source : Effectif, volume 16, numéro 3, juin/juillet/août 2013