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Les femmes à la haute direction : où sont-elles?

Le temps, croyait-on, devait régler la question de la sous-représentation des femmes dans les postes de haute direction au Canada. Mais force est de constater que, jusqu’à maintenant, la lenteur des changements a de quoi désespérer même les plus patients.  

Traduit par CQRHText
3 juillet 2012
Ruth Wright

Au rythme où vont les choses, il faudrait attendre environ cent cinquante ans avant d’atteindre la parité hommes-femmes dans les postes de cadres intermédiaires. Et un siècle et demi, ce n’est rien en regard de l’éternité qui serait nécessaire pour atteindre cette norme dans la haute direction. Dans les hautes sphères des entreprises et du gouvernement, les femmes ne gagnent pas de terrain.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Chaque année, de 1987 à 2009, les hommes avaient de deux à trois fois plus de chances que les femmes d’occuper un poste de haute direction d’un échelon supérieur à un poste de directeur. Par exemple, sur les 82 000 postes de haute direction au Canada en 2009, 56 000 étaient occupés par des hommes et seulement 26 000 par des femmes.

La même tendance est observée du côté des cadres intermédiaires, le tremplin le plus courant vers les postes de haute direction. Depuis 1987, les hommes ont invariablement été une fois et demie plus nombreux que les femmes à occuper des postes de cadre intermédiaire.

En outre, les données ne confirment en rien l’idée reçue selon laquelle les femmes sont plus susceptibles d’avancement dans le secteur public. L’analyse réalisée en 2012 par le Conference Board, Women in Senior Management? Where Are They?, indique que la situation est la même dans tous les secteurs.

Alors, pourquoi ces données nous étonnent-elles? De toute évidence, les Canadiens et Canadiennes croyaient que la situation était plus reluisante. Après tout, nous voyons régulièrement des femmes à la tête de nations et d’entreprises de grande envergure. Sur la scène internationale, Christine Lagarde est dernièrement devenue la première femme à la tête du Fonds monétaire international, et Angela Merkel, la chancelière allemande, a joué un rôle fondamental dans la crise de la dette de la zone euro. Plusieurs grandes multinationales, comme Xerox et IBM, sont dirigées par des femmes. Et aujourd’hui, des femmes sont à la tête de leur pays, que l’on pense à l’Argentine, à l’Australie, au Brésil et à la Thaïlande. Au Canada, quatre provinces ont une femme à leur tête. Mais ces cas très médiatisés ne changent rien au fait qu’à l’échelle internationale, le pourcentage des femmes occupant des postes de haute direction est de seulement 21 %. Selon une étude internationale récente menée par la firme Grant Thornton, cette proportion va de 46 % en Russie à seulement 5 % au Japon. Le Canada se trouve au centre du peloton, à 25 %. À l’échelle mondiale, les femmes occupent 9 % des postes de chef de direction. Au Canada, du moins pour les cinq cents plus importantes organisations selon le Financial Post, ce nombre est de 5,8 %.

Le nombre relativement limité de femmes atteignant un poste de cadre supérieur attire souvent une attention médiatique importante, ce qui pourrait créer l’impression, fausse, que les obstacles à l’avancement professionnel des femmes sont chose du passé. Ce qui n’est pas le cas.

Pourquoi s’en préoccuper?
Les entreprises qui créent des milieux de travail inclusifs et soutiennent les employées féminines sont plus innovatrices et plus rentables. Une étude faite en 2004 par la firme de recherche Catalyst indiquait que les entreprises dont la haute direction était composée d’un pourcentage plus élevé de femmes avaient un taux de rendement des capitaux propres de 35,1 % plus élevé et un rendement pour les actionnaires de 34 % plus élevé que les entreprises où la proportion de femmes était moindre. Une recherche effectuée en 2002 par le Conference Board indiquait que la présence de femmes au sein des conseils d’administration des entreprises allait de pair avec la réussite de ces organisations. Elles affichaient une plus grande efficacité et une plus grande rentabilité sur un nombre important d’indicateurs non financiers, notamment en ce qui a trait à la durabilité de l’environnement. Elles étaient plus axées sur la clientèle; après tout, les femmes prennent 70 % des décisions familiales en matière de consommation. Si l’on fait fi des femmes, on fait fi de la moitié des meilleurs talents.

Quels sont les obstacles?
Pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes qui grimpent les échelons jusqu’aux postes de cadres intermédiaires et supérieurs? Tout d’abord, les choix en matière de formation sont souvent mentionnés comme facteur déterminant. Traditionnellement du moins, les hommes étaient plus enclins que les femmes à poursuivre des études dans des disciplines techniques qui les propulsaient vers des postes de haute direction. Les hommes commencent souvent leur carrière dans des postes opérationnels qui les font avancer ensuite dans des postes de gestion. Mais, de nos jours, les femmes gèrent de mieux en mieux leur carrière et sont bien représentées dans les disciplines techniques (quoiqu’encore très sous-représentées en génie).

Ensuite, les choix personnels constituent une autre raison importante : les femmes subissent indéniablement plus de pression pour concilier vie familiale et postes exigeants. Devons-nous changer cette situation et créer des cheminements de carrière qui tiennent compte des exigences d’ordre domestique auxquelles doivent répondre les femmes? Des recherches récentes que nous avons menées, par exemple chez les femmes travaillant dans des exploitations minières, démontrent que ce n’est pas ce que les femmes souhaitent. Elles sont tout à fait prêtes à faire le nécessaire pour concilier leurs diverses responsabilités. Elles veulent travailler sur le terrain, mais elles ont besoin de plus de souplesse pour y arriver. Le principal problème est selon elles la culture et les attitudes négatives.

Enfin, le troisième et plus important obstacle réside dans la persistance, subtile ou explicite, de cultures d’entreprise peu accueillantes pour les femmes. Dans les milieux de travail où le leadership est à prédominance masculine, il peut s’avérer plus facile pour les hommes d’être embauchés et promus. Et, même si nous aimerions dire que la discrimination est chose du passé, certains milieux de travail ont conservé une culture peu accueillante pour les femmes qui peut limiter l’avancement des femmes. La culture peut être une chose très insidieuse. En voici quelques exemples...

  • Considérer que les comportements des femmes sont «biologiquement différents». On attend certains comportements de la part des hommes – comme l’esprit de décision et l’assurance – qu’on tolère mal chez les femmes. C’est ce que l’on appelle la «double contrainte».
     
  • Éviter de mettre les femmes dans des situations précaires où les risques d’échec sont élevés. C’est ce qu’on appelle la «falaise de verre».
     
  • Fournir un accès aux «personnes d’influence». Selon les leaders féminins, ce qui les a vraiment aidées était d’avoir accès à un patron ou un ancien patron qui les parrainait activement. Mais les hommes sont plus susceptibles d’être les bénéficiaires d’une forme de parrainage.

Longtemps, il était de mise de décrire les obstacles à l’avancement des femmes comme le «plafond de verre». Mais, avec les nombreux tours et détours parmi lesquels doivent naviguer les femmes au cours de leur carrière, le labyrinthe serait une métaphore plus appropriée. Tant qu’on n’examinera pas la situation des femmes dès les premiers stades de leur carrière, il leur sera difficile de faire des percées significatives au sommet des organisations.

Que faire?
Les personnes doutant de la possibilité d’un tel changement doivent savoir que certaines entreprises canadiennes ont soutenu avec succès la participation des femmes à la haute direction. Au moyen d’études de cas, le Conference Board a cerné neuf pratiques mises en place dans de telles entreprises afin d’accroître la proportion de femmes dans les rangs des cadres supérieurs.
  1. Utiliser des techniques responsables de recherche de candidats; faire en sorte que des femmes se retrouvent sur toutes les listes de candidats
    sélectionnés.
  2. Reconnaître le talent et instaurer des pratiques de planification de la relève.
  3. Mettre en place des programmes de mentorat et d’accompagnement; aller au-delà du simple mentorat au moyen d’un parrainage actif.
  4. Offrir des possibilités d’alternance des tâches.
  5. Appliquer des mesures d’évaluation continue.
  6. Créer un environnement de travail inclusif au moyen de formation de sensibilisation et de changement de culture.
  7. Éviter de mettre les femmes dans des situations précaires où les risques d’échec sont élevés sans leur offrir le soutien et la préparation nécessaires à leur succès; l’échec d’une femme dans un rôle de haute direction pourrait être attribué à son sexe, plutôt qu’à la situation.
  8. Souligner les modèles et communiquer les succès.
  9. Fournir du soutien aux cadres supérieurs.

Notre population est diversifiée et compte près de 50 % de femmes. Si on investit dans ces talents diversifiés, les meilleurs, ceux qui s’élèveront jusqu’en haut de l’échelle, ne pourront qu’être aussi diversifiés. Prenons l’exemple de la Manitoba Lottery Corporation. Il y a un peu plus de dix ans, sa réputation était en ruine. Dans le cadre d’une réorganisation globale de l’entreprise, ses dirigeants ont décidé d’investir dans les talents à tous les échelons de l’entreprise. Ils ont réparti les postes par «famille» et ont précisé les aptitudes et compétences nécessaires pour progresser dans ces fonctions. Presque tous les employés ont ainsi eu la possibilité de se perfectionner et de progresser. Le résultat? Les employés les plus talentueux, qui ont émergé du lot, étaient diversifiés, à l’image de l’organisation. Et aujourd’hui, dans une industrie à prédominance masculine, cette entreprise a atteint la parité hommes-femmes dans sa haute direction.

Inversement, il est également possible d’aborder la question par la base. Depuis des années, le Canadien Pacifique essaie d’attirer plus de femmes dans son organisation. Mais ces métiers demeurent obstinément à prédominance masculine. Le Canadien Pacifique mise donc sur son conseil d’administration et son équipe de haute direction. Le conseil compte présentement trois femmes. L’entreprise a vraiment fait des efforts pour mettre des femmes dans les postes de haute direction, espérant ainsi changer la donne à partir de la base et de la tête.

Au Canada, nous vivons dans une économie mondiale où la qualité de notre main-d’œuvre constitue le fondement même de notre compétitivité. Nous vivons aussi dans un pays en pleine transition, qui passe d’une économie au taux de chômage habituellement élevé à une situation de pénuries chroniques de main-d’œuvre qualifiée. Alors, pourquoi choisirions-nous de sous-utiliser le talent d’une partie essentielle de notre population?

Ruth Wright, Director, Leadership and Human Resources Research, Conference Board du Canada. Traduit par CQRHText

Source : Effectif, volume 15, numéro 3, juin/juillet/août 2012.


Ruth Wright