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L’importance de mener une enquête sérieuse en matière disciplinaire

Le présent article se veut un bref résumé de la jurisprudence récente qui aborde l’obligation incombant à l’employeur de mener une enquête sérieuse avant l’imposition d’une mesure disciplinaire.
12 novembre 2025
Me Dave Bouchard, CRHA | Me Catherine Voyer, CRHA

Avant d’imposer une mesure disciplinaire, un employeur se doit de mener une enquête sérieuse. En effet, il est essentiel que l’employeur documente les incidents survenus, conserve à son dossier les éléments de preuve accessibles, recueille les différentes versions disponibles des évènements et donne la chance à la personne salariée concernée d’expliquer sa version des faits. Une démarche rigoureuse est nécessaire, considérant qu’elle fera partie des éléments analysés par le Tribunal administratif du travail (ci-après le « Tribunal ») en cas de contestation de la mesure disciplinaire imposée. À défaut de mener une telle enquête, le Tribunal a le pouvoir d’intervenir pour modifier la mesure disciplinaire imposée, pouvant même aller jusqu’à l’annulation d’un congédiement.

Dans le cadre de cet article, l’analyse de trois décisions nous permettra de constater l’importance pour l’employeur d’effectuer une enquête sérieuse en matière disciplinaire ainsi que les conséquences pouvant s’ensuivre dans le cas contraire.

Analyse de décisions

Récemment, dans la décision Trépanier c. Union internationale des journaliers d’Amérique du Nord, section locale 62[1], le plaignant contestait son congédiement au moyen d’une plainte déposée en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[2] (ci-après la « LNT ») pour congédiement sans cause juste et suffisante. L’employeur reprochait plusieurs éléments au plaignant qu’il qualifiait globalement de violation de son obligation de loyauté et d’honnêteté, brisant irrémédiablement le lien de confiance. Il alléguait notamment que le plaignant avait procédé à la falsification de rapports quotidiens d’activités, dormi au travail et entretenu des conflits avec des collègues. Même en présence d’une faute que l’employeur considérait comme grave et pouvant justifier une rupture immédiate du lien d’emploi, le Tribunal a affirmé que l’employeur avait l’obligation de mener une enquête sérieuse afin de permettre au plaignant de donner sa version des faits sur les éléments reprochés. En l’espèce, aucune rencontre avec le plaignant n’avait eu lieu avant son congédiement, et l’enquête menée par l’employeur a été jugée incomplète et superficielle. Dans ces circonstances, le Tribunal a conclu que la preuve n’a pas permis de démontrer, selon la balance des probabilités, que le plaignant avait commis toutes les fautes alléguées justifiant son congédiement immédiat. La preuve présentée révélait plutôt l’existence d’indices qui pouvaient mener l’employeur à se questionner quant au respect par le plaignant de son obligation de loyauté et d’honnêteté. Ainsi, devant l’enquête incomplète de l’employeur et en l’absence de cause juste et suffisante démontrée, le Tribunal a annulé le congédiement imposé au plaignant.

Dans le cadre de la décision Estrada et 8316325 Canada inc.[3], le plaignant avait déposé une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante en vertu de l’article 124 de la LNT. L’employeur avait procédé au congédiement du plaignant, chargé de la collecte de loyers, auquel il reprochait des vols d’argent. Une plainte à la police avait également été déposée contre lui. Cependant, l’enquête de l’employeur a été de courte durée. L’employeur avait écrit aux locataires pour obtenir de l’information, s’était basé sur des reçus trouvés et avait confronté le plaignant une seule fois. Le Tribunal a soulevé le fait qu’il n’y avait aucune urgence pour l’employeur de procéder à son congédiement avec une telle précipitation. Au surplus, il a réitéré que l’employeur n’a pas laissé la chance raisonnable au plaignant de s’expliquer sur les évènements ainsi que sur les accusations portées contre lui. Le Tribunal a conclu que la décision de l’employeur de congédier le plaignant a été basée sur de simples soupçons alimentés par des perceptions subjectives de la culpabilité du plaignant. Ainsi, le congédiement du plaignant a été annulé par le Tribunal. Dans un second temps, il a également déterminé que l’employeur était tenu de verser au plaignant un montant total de 101 738,54 $ à titre d’indemnité pour perte salariale, d’indemnité de perte d’emploi et de dommages moraux[4].

La dernière décision que nous analyserons est Potvin et Oly-Robi Transformation[5]. Dans cette affaire, l’employeur invoquait différents motifs pour démontrer une cause juste et suffisante de congédiement face à une plainte déposée par le plaignant en vertu de l’article 124 de la LNT. Il lui reprochait notamment d’avoir contrevenu à une interdiction formelle de fumer et d’avoir volé un couteau. Le plaignant avait fait défaut de se présenter à une rencontre lors de laquelle il aurait été questionné sur les évènements reprochés. Cependant, au lieu de le lui reprocher, l’employeur avait choisi de délibérer en vase clos et de procéder à son congédiement. Le Tribunal a affirmé qu’il y a eu absence d’enquête sérieuse de l’employeur avant d’agir. Il a tenté de rattraper cette lacune en présentant, lors de l’audience, des éléments de preuve qu’il n’avait pas analysés au moment des évènements. Or, il était malheureusement trop tard. La preuve que l’employeur détenait lors de la fin d’emploi reposait sur des suppositions qu’il n’avait jamais tenté de corroborer ou d’infirmer par l’intermédiaire d’une investigation approfondie. L’employeur avait le temps de procéder à une enquête sérieuse. Or, il a failli à cette obligation, particulièrement en omettant d’obtenir la version des faits du plaignant et en se fiant uniquement à celles de la survenance des faits reprochés au plaignant. Il a donc été conclu que l’employeur a fait défaut de démontrer une cause juste et suffisante. Le Tribunal a alors annulé le congédiement du plaignant et y a substitué une suspension de deux mois. Nous croyons opportun de citer le passage suivant de cette décision afin d’appuyer nos propos quant à l’importance de l’enquête en manière disciplinaire :

« [67] Or, le demandeur est congédié une semaine suivant l’évènement lié au tabagisme et quatre jours après la dénonciation liée au vol. L’employeur avait le temps de terminer son enquête, particulièrement en obtenant la version du demandeur, ce qu’il n’a pas fait. Les auteurs précisent qu’“à moins de cas particulier, l’employé devrait toujours avoir l’occasion de relater sa version des faits et d’être confronté aux manquements qu’on lui reproche”. »

Ainsi, les trois décisions survolées permettent de constater que les employeurs ont intérêt à ne pas imposer de mesures disciplinaires de façon précipitée et à prendre le temps de bien compléter leur enquête avant d’agir.

Recommandations pour les employeurs

Nous avons dressé une liste non exhaustive des éléments que les employeurs devraient retenir pour les fins de leurs enquêtes en matière disciplinaire :

  • Un employeur ne devrait pas imposer une mesure disciplinaire en s’appuyant sur de simples soupçons, déductions ou perceptions, mais plutôt sur une preuve claire et convaincante. Il est important de se rappeler qu’en matière de contestation d’un congédiement, le fardeau de la preuve appartient généralement à l’employeur.
  • Il est crucial de recueillir la version des faits de la personne salariée visée par la mesure disciplinaire. Cette composante est liée au droit d’être entendu, et l’employeur doit lui donner une chance réelle de s’expliquer.
  • Il est essentiel d’obtenir l’ensemble des versions des évènements disponibles et donc de questionner tous les témoins potentiels des évènements en cause. De la sorte, le portrait des faits survenus sera plus clair et complet. Dans certains cas, il peut être opportun de préparer et de faire signer des déclarations écrites aux témoins. De plus, la prise de notes tout au long du processus s’avère un outil utile afin de bien préparer une défense dans le cadre d’une contestation d’une fin d’emploi.
  • Il est opportun de bien documenter les incidents qui surviennent en cours d’emploi et d’effectuer les suivis nécessaires avec la personne salariée en question. Des avertissements clairs, la mention des conséquences éventuelles en cas de récidive et le respect d’une gradation des sanctions sont toujours recommandés, à moins d’être en présence d’une faute grave.
  • L’employeur doit éviter de prendre une décision hâtive quant à l’imposition d’une mesure disciplinaire. Une telle mesure doit être fondée sur une enquête sérieuse, laquelle peut prendre un certain temps. L’inverse, soit d’imposer une mesure disciplinaire et ensuite de recueillir des preuves pour justifier celle-ci, ne sera la plupart du temps pas retenu comme preuve complète et suffisante par les tribunaux. Selon les circonstances, une suspension de la personne salariée pour les fins d’enquête pourrait être envisagée.

Bref, une enquête sérieuse en matière disciplinaire permet de déceler le niveau de gravité réel des agissements reprochés à une personne salariée. Ainsi, il sera plus facile pour l’employeur de déterminer quelle sanction est la plus appropriée dans les circonstances et de justifier sa décision devant un tribunal.


Author
Me Dave Bouchard, CRHA Avocat, associé Lavery

Me Dave Bouchard concentre sa pratique essentiellement dans le domaine du droit du travail et de l’emploi à notre bureau de Sherbrooke. À ce titre, il est appelé à conseiller des employeurs sur l’ensemble des aspects légaux reliés à la gestion des ressources humaines ainsi qu’en matière de lésions professionnelles, en plus de les représenter devant les différents tribunaux administratifs et de droit commun. Me Bouchard agit également comme conseiller et porte-parole patronal dans le cadre de négociations de conventions collectives.

De plus, Me Bouchard est appelé à conseiller et à représenter divers clients dans le cadre de litiges de nature civile, commerciale et pénale ainsi que dans le cadre de mandats de nature commerciale.

Me Bouchard enseigne le droit du travail à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke ainsi qu’à l’École du Barreau. Il agit aussi à titre d’administrateur du Séminaire de Sherbrooke et de l’École secondaire de Bromptonville.

Il a obtenu un baccalauréat en droit et une maîtrise en administration des affaires (MBA) de l’Université de Sherbrooke. Me Bouchard est membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) et de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec (ADM.A).

Avant de se joindre à Lavery en 2014, Me Bouchard pratiquait dans un cabinet d’avocats national.


Author
Me Catherine Voyer, CRHA Avocate Lavery

Me Catherine Voyer exerce principalement en droit des affaires ainsi qu’en droit du travail.

Dans le cadre de sa pratique en droit du travail et de l’emploi, Me Voyer est appelée à conseiller des employeurs dans divers domaines relatifs au droit du travail et de l’emploi, notamment en matière de normes du travail, d’embauche et de cessation d’emploi, de lésions professionnelles, pour la révision de contrats de travail et politiques ainsi que pour d’autres aspects légaux reliés à la gestion des ressources humaines. Elle représente également des employeurs devant les différents tribunaux administratifs et tribunaux civils du Québec.

Dans le cadre de sa pratique en droit des affaires, Me Voyer est appelée à conseiller des clients en diverses matières commerciales. Elle procède à la rédaction de divers contrats, notamment des contrats de services, de distribution, de partenariat et de licences, ainsi que d’autres ententes commerciales en hautes technologies, impliquant de l’intelligence artificielle ou des licences ouvertes. Elle offre aussi des conseils en matière de protection des renseignements personnels.


Source : VigieRT, novembre 2025

1 Trépanier c. Union internationale des journaliers d’Amérique du Nord, section locale 62, 2025 QCTAT 2261. 3 Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.
2 Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.
3 Estrada et 8316325 Canada inc., 2020 QCTAT 829. Pourvoi en contrôle judiciaire rejeté (8316325 Canada inc. c. Tribunal administratif du travail, 2022 QCCS 930).
4 Estrada c. 8316325 Canada inc., 2023 QCTAT 1144.
4 Potvin et Oly-Robi Transformation, 2018 QCTAT 1833. Demande en révision rejetée (Oly-Robi Transformation et Potvin, 2018 QCTAT 3751).

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