ressources / relations-travail

La preuve du compte Facebook déclarée irrecevable

Dans une décision récente[1], la Commission des lésions professionnelles (ci-après la « CLP ») a rejeté la preuve de l’employeur qui avait pour objet des extraits du compte Facebook de la travailleuse pendant une année complète. La CLP rejette l’admissibilité de cette preuve au motif que cette dernière a été obtenue en violation des droits fondamentaux prévus à la Charte canadienne des droits et libertés[2] (charte canadienne) et à la Charte des droits et libertés de la personne[3] (charte québécoise).

22 janvier 2013
Me Mélanie Morin, CRHA

Dans cette affaire, la travailleuse conteste une décision de la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST) eu égard à l’admissibilité des diagnostics d’entorse lombaire, de hernie discale et d’un état de dépression majeure induit par des problèmes de santé. En cours d’audience, alors que le procureur de l’employeur, lors de son contre-interrogatoire, tente de contredire le témoignage de la travailleuse avec une preuve issue de son compte Facebook, une objection a été soulevée par le procureur de la travailleuse quant à la recevabilité de celle-ci.

À la suite de discussions, le procureur de la travailleuse a retiré son objection relative à la recevabilité de cette preuve et n’a plus allégué le caractère privé de la preuve issue de Facebook. Toutefois, la CLP a exigé que la représentante de l’employeur témoigne sur la façon dont elle a obtenu la copie des extraits du compte Facebook de la travailleuse. La représentante explique alors qu’elle a créé un compte fictif au nom de « Véronica Miles », en prenant le soin d’attirer l’attention de la travailleuse en utilisant des renseignements sur ses intérêts personnels, ses préférences musicales et en matière de lecture, de cinémas, etc. C’est dans ce contexte que la travailleuse l’a acceptée comme amie. D’ailleurs, la travailleuse a affirmé que la personnalité fictive utilisée par la représentante de l’employeur l’a attirée puisqu’elle étudie à la même université et qu’elle semblait être dans une position pour l’aider.

Également, lors de son témoignage, la travailleuse a expliqué qu’elle avait activé la protection privée sur son profil, ce qui a été corroboré par la représentante de l’employeur. En effet, celle-ci avait dû lui demander la permission afin de devenir son amie, car autrement, elle n’avait pas accès aux renseignements sur la travailleuse. En effet, depuis plusieurs années, Facebook a mis en place un certain nombre de mesures de confidentialité disponibles pour les usagers, dont la possibilité de faire en sorte que seuls les « amis » puissent avoir accès au contenu de la page et non le grand public en général.

Après avoir entendu cette preuve, la CLP a soulevé d’office une atteinte aux droits et libertés fondamentaux comme elle en a le pouvoir dans de telles circonstances. La CLP, à la lumière de la preuve présentée, a décidé de rejeter cet élément de preuve issu du compte Facebook.

La CLP a reconnu la jurisprudence antérieure des différentes instances confirmant que Facebook est un réseau social à caractère public et qu’en conséquence, l’information qui y est contenue fait partie du domaine de la vie publique.

Selon la CLP, si cette preuve est obtenue légalement, elle ne constitue pas une atteinte à la vie privée en raison de ce caractère public de Facebook, et ce, même dans un contexte où l’utilisateur a choisi d’activer les paramètres de sécurité pour protéger sa vie privée. Cette position de la CLP est conforme à l’une de ses décisions rendues dans l’affaire Landry et Provigo Québec Inc. (Maxi & Cie)[4]. Dans cette affaire, la CLP a indiqué qu’il est difficile de parler d’un caractère privé puisqu’on ne peut contrôler la liste des amis sur Facebook ainsi que la liste des amis des amis et ainsi de suite.

Dans le présent cas, la CLP est plutôt d’avis que la situation est toute autre. Selon la CLP, ce qui distingue la présente affaire provient du fait que la preuve a été obtenue illégalement, soit par un accès illicite au profil Facebook. À ce sujet, la CLP mentionne ce qui suit :

« Dans le cas particulier de Facebook, on entend par ‘obtenu légalement’ le fait de recevoir de l’information d’un utilisateur qui a un compte public, ou en devenant ami d’une personne de façon illicite ou par l’entremise d’un ami d’un ami, etc. Seule l’information publiée par des gens ayant un compte public est accessible à tous. Dans les autres cas, l’information n’est pas forcément disponible et, si elle ne l’est pas, même si elle est dans un lieu considéré comme public, elle demeure de nature privée. »

La CLP ajoute que « ce n’est pas parce qu’on est sur Facebook qu’il ne peut y avoir d’atteinte à la vie privée ».

En somme, la CLP est d’avis que l’usage de subterfuge et de mensonge afin de devenir « l’amie » de la travailleuse dans le but d’accéder aux renseignements nécessaires à sa preuve viole son droit à la vie privée. Le tribunal va plus loin en précisant qu’il s’agit d’une incursion sans retenue dans la vie privée de la travailleuse et que l’employeur n’avait aucun motif justifiant une telle démarche, si ce n’était que de trouver un élément de preuve dans le but d’améliorer le dossier en vue de l’audition. Selon la CLP, cette atteinte ne constitue pas une atteinte minime et, dans les circonstances, elle est de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

La CLP rejette donc l’admissibilité en preuve des extraits du compte Facebook de la travailleuse eu égard aux faits particuliers de la présente affaire. Cette décision suscitera certainement des questionnements de la part des employeurs qui souhaitent, de plus en plus, utiliser en preuve des passages tirés de compte Facebook ainsi que de tout autre média social afin d’attaquer la crédibilité d’un travailleur.

Rappelons toutefois que dans plusieurs décisions, cette preuve a été accueillie sans que ni les procureurs au dossier ni le tribunal soulèvent d’objection quant à sa recevabilité. Notamment, dans l’affaire Garderie Les « Chats » ouilleux inc. c. Marchese[5], la CLP avait rejeté la réclamation de la travailleuse qui alléguait avoir subi une entorse lombaire alors qu’elle jouait avec les enfants. Dans cette affaire, l’employeur a déposé la page Facebook de la travailleuse alors qu’elle est en vacances en République dominicaine et qu’elle s’adonnait à plusieurs activités physiques telles que l’aérobie. La question de la recevabilité de cette preuve n’a pas été remise en cause et, en raison de cette preuve, le tribunal n’a pas retenu la version de la travailleuse. Il s’agit là d’un exemple des cas dans lesquels une telle preuve a été déposée.

En résumé, à la lumière de la présente décision de la CLP, les parties qui souhaitent utiliser des preuves issues du compte Facebook d’un travailleur devront dans un premier temps s’assurer qu’elles ont été obtenues légalement et par conséquent, qu’elles ne déconsidèrent pas l’administration de la justice. Il ne faut pas perdre de vue que dans la mesure où la preuve est légalement obtenue, elle pourra certes être admise. Ce n’est que dans les cas particuliers, comme en l’espèce, qu’un tribunal est susceptible de la rejeter. Par ailleurs, il sera intéressant de voir si cette décision sera portée en révision

Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.

Source : VigieRT, janvier 2013.


1 Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada, 2012 QCCLP 7666.
2 L.R.C. (1985), App. II, no 44.
3 L.R.Q. c. C-12.
4 2011 QCCLP 1802.
5 QCCLP 7139.

Author
Me Mélanie Morin, CRHA Associée Pelletier & Cie avocats Inc.
Me Mélanie Morin est associée au bureau de Pelletier & Cie avocats inc. Mélanie axe sa pratique principalement en droit du travail et de l’emploi. Elle s’occupe également de dossiers de litige civil et de droit professionnel.

Me Morin représente les employeurs tant du secteur privé (petites, moyennes et grandes entreprises) que du secteur public. Elle est appelée à représenter ses clients devant les tribunaux civils et administratifs en matière d’arbitrage de griefs, de relations de travail, d’accréditation, de congédiement et de santé et sécurité au travail. Elle axe également sa pratique sur les recours extraordinaires, tels que la révision judiciaire et l’injonction.

Me Morin agit à titre de conseillère en relations de travail, en plus de s’occuper de la négociation de conventions collectives.

Elle est conférencière en matière de relations de travail, de gestion d'employés et des enjeux reliés à l’utilisation des réseaux sociaux. Son expertise est plus particulièrement mise à contribution en matière de rapports collectifs et individuels de travail ainsi qu’en matière santé et sécurité au travail. Elle conseille également sa clientèle en matière de droit administratif, de Charte des droits et libertés et en matière d’immigration pour la clientèle d’affaires.