Si l’on vous disait qu’il existe un bassin de main-d’œuvre expérimentée, disponible et loyale, qui n’attend qu’à contribuer au succès de votre entreprise? Ces personnes d’expérience font incontestablement partie de la solution à la rareté de main-d’œuvre. Pourtant, elles sont souvent écartées lors du processus d’embauche ou partent trop tôt à la retraite.
C’est avec pour mission de sensibiliser les organisations à l’embauche, au maintien et au retour en emploi des travailleuses et travailleurs expérimentés que la campagne La compétence n’a pas d’âge a été mise sur pied depuis plusieurs années déjà.
Le programme, qui s’adresse aux entreprises, se décline en deux axes. Le premier : sensibiliser les employeurs à l’apport et à la valeur des travailleuses et travailleurs expérimentés. Le second : outiller les entreprises dans la mise en place de bonnes pratiques favorisant l’embauche, le maintien et le retour en emploi des travailleuses et travailleurs d’expérience.
Ce désir de valoriser la main-d’œuvre expérimentée ne date pas d’hier. « Déjà en 2011, l’Association québécoise de gérontologie, qui n’existe plus aujourd’hui, développait la première campagne contre l’âgisme », explique Éric Sedent, consultant pour La compétence n’a pas d’âge.
Les entreprises qui s’inscrivent au programme sur le site lacompetencenapasdage.com reçoivent une trousse de matériel informatif. Le programme organise aussi des forums, des conférences et des ateliers auxquels les employeurs sont conviés. De l’accompagnement personnalisé est aussi parfois offert.
La pandémie et la pénurie de main-d’œuvre offrent un contexte favorable à la valorisation des travailleuses et travailleurs plus âgés. « Les entreprises commencent à être sensibilisées, en effet, mais il est temps qu’elles passent à l’action », croit Diane-Gabrielle Tremblay, CRHA, professeure en gestion des ressources humaines à l’Université TÉLUQ, qui se penche sur la gestion de la main-d’œuvre vieillissante depuis longtemps, et qui est impliquée dans la campagne.
Les travailleuses et travailleurs d’expérience qui désirent rester en poste ou trouver un emploi rencontrent des obstacles qui relèvent à la fois des préjugés et/ou de l’organisation même du travail qui tarde à s’adapter.
Flexibilité et formation : au cœur du problème
L’étude Attirer et retenir la main-d’œuvre d’expérience réalisée par Diane-Gabrielle Tremblay, la TÉLUQ et la firme de sondage Léger, met en lumière les obstacles qui poussent des travailleurs et travailleuses à partir à la retraite.
Parmi ceux-ci, il y a les préjugés tenaces quant à leurs capacités d’adaptation et d’innovation. « Pourtant, s’il y a une génération qui est capable de s’adapter aux nouvelles technologies, c’est bien celle des plus de 50 ans », remarque Éric Sedent.
Or, l’étude révèle que la formation baisse de 10 points de pourcentage entre 50 et 61 ans. « Passé 50-55 ans, quand nous parle-t-on d’un plan de carrière? Quand nous amène-t-on à nous projeter vers le futur? » constate Martine Lagacé, professeure et vice-rectrice associée, promotion et développement de la recherche, à l’Université d’Ottawa, et impliquée dans la campagne La compétence n’a pas d’âge.
De nombreuses entreprises supposent qu’une main-d’œuvre vieillissante est synonyme de perte de productivité et d’aménagement coûteux d’équipement.
« Ce sont des préjugés hérités de l’ère industrielle qui ne tiennent pas la route dans une économie de la connaissance », explique Diane-Gabrielle Tremblay. Le nœud auquel les entreprises devraient s’attaquer maintenant est l’aménagement du temps de travail. L’étude démontre bien que c’est la mesure à privilégier pour maintenir le personnel d’expérience en poste.
On peut penser réduction de la semaine de travail, flexibilité au niveau des horaires, temps partiel. « Je n’ai pas peur de dire que c’est un avantage concurrentiel pour les PME qui peuvent se le permettre, poursuit Diane-Gabrielle Tremblay. De plus, du point de vue des ressources humaines, on peut offrir cet avantage tout en maintenant l’équité dans l’organisation, puisque l’aménagement du temps de travail est également demandé par les parents de jeunes enfants. »
Savoir-faire et savoir-être
Les avantages sont nombreux à embaucher ou à maintenir en poste une main-d’œuvre âgée de plus de 50 ans. En plus de leur bagage d’expérience et de leurs connaissances, ces travailleurs et travailleuses ont une capacité « à générer une ambiance de travail sereine, constate Éric Sedent. Ce sont des gens qui vont parfois apaiser un milieu de travail. Ils transmettent également leurs connaissances plus facilement. Ils sont en fin de carrière et ne sont plus nécessairement dans une logique de performance et de compétition. »
On constate qu’ils font également preuve de loyauté. « Auparavant, on se disait : on ne les embauchera pas, ils vont partir dans 5 ans, 10 ans. Or, les plus jeunes restent moins longtemps dans un même emploi », précise Diane-Gabrielle Tremblay.
On peut aussi penser à la diversité qui est au cœur des préoccupations des entreprises. On songe d’emblée à la diversité ethnoculturelle ou de genre, mais une diversité de l’âge est également souhaitable. « Les théories sur l’innovation le disent bien : plus l’équipe est diversifiée à tous les niveaux, plus elle sera créative et innovatrice », explique Diane-Gabrielle Tremblay.
Une responsabilité partagée
Plusieurs acteurs peuvent contribuer à la rétention et à l’embauche de travailleurs et de travailleuses d’expérience. L’étude Attirer et retenir la main-d’œuvre d’expérience propose des pistes de solution.
Du côté gouvernemental, des mesures pourraient être prises pour soutenir les entreprises qui désirent, entre autres, offrir l’aménagement de temps de travail. Une amélioration de la fiscalité serait aussi souhaitable pour les travailleuses et travailleurs plus âgés.
À ce compte, il faut déboulonner le mythe qu’il est désavantageux de travailler au-delà de l’âge de la retraite. L’étude du Comité consultatif 45+, réalisée par Luc Godbout, directeur du Département de fiscalité et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques à l’Université de Sherbrooke, démontre bien que cette croyance est erronée.
Les organisations quant à elles peuvent revoir et assouplir les modalités qui régissent le temps de travail. Des programmes de mentorat, du coaching et de la formation sont également des mesures qui augmentent l’attrait pour l’emploi.
Ces dispositions représentent des modifications en profondeur du monde du travail, mais les entreprises doivent s’y résoudre si elles veulent faire face à la vague de fond qui grossit. Lors d’une conférence de presse en avril 2022, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, a qualifié la pénurie de main-d’œuvre au Québec d’aiguë et anticipait pas moins de 1,4 million de postes vacants à combler d’ici 2030.
« La pénurie de main-d’œuvre amène les organisations à être un peu plus sensibilisées, à regarder tous les groupes potentiels pour combler cette pénurie. Bien sûr, les employés de plus de 50 ans ne vont pas à eux seuls régler le problème. Il faut regarder tous les groupes. Mais si l’on met en place les bonnes mesures, on pourra effectivement attirer et retenir des travailleuses et travailleurs expérimentés », conclut Diane-Gabrielle Tremblay.
Caroline Bouffard, est journaliste à l'agence 37e AVENUE.